Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/190

Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
FRAGMENTS HISTORIQUES

une espèce de trinité sous un Dieu unique. Il paraît qu’en ce point les théologiens des côtes de Malabar et de Coromandel diffèrent de ceux qui habitent vers le Gange, et de l’ancienne école de Bénarès ; mais où sont les théologiens qui s’accordent ? Tous admettent trois dieux sous un seul Dieu. Ces trois dieux sont Brama, Vishnou, et Sib[1]. Mais ces trois dieux sont-ils des substances distinctes, ou simplement des attributs du grand Dieu créateur ? C’est sur quoi les brames disputent.

Ils ne conviennent guère que sur le dogme de la création. Toutes les sectes et toutes les castes rassemblées une fois l’an dans le fameux temple de Jaganat, entre Orixa et le Bengale, y viennent célébrer le jour où le monde fut tiré du néant par la seule pensée de l’Éternel. C’est cette fête surtout que nos missionnaires ont appelée la grande fête du diable.

Les brachmanes représentèrent Dieu sous trois emblèmes. Brama est le dieu créateur ; Vishnou ou bien Vithnou est le dieu conservateur, qui s’est incarné tant de fois ; Sib est le dieu miséricordieux. D’autres théologiens indiens très-anciens l’appellent le dieu destructeur : tant il est difficile à ceux qui osent dogmatiser sur la nature divine de s’accorder ensemble[2] !

Nous n’avons pas assez de monuments de l’antiquité pour oser affirmer que l’Isis, l’Osiris et l’Horus des Égyptiens soient une copie de la trinité indienne. Nous ne déciderons pas si les trois frères Jupiter, Neptune, et Pluton, qui se partagèrent le monde, sont une fable imitée d’une autre fable ; nous répéterons[3] seulement ici combien le nombre trois fut toujours mystérieux dans l’antiquité. Il semblait que, dans l’Orient, un secret instinct eût pressenti quelques idées imparfaites d’une vérité encore ignorée.

Mais comme tout se contredit chez les hommes, on ajouta bientôt une quatrième personne aux trois autres. Cette quatrième personne est Routren[4], selon plusieurs docteurs, le dieu destructeur, celui que le grand Origène[5] appelle le dieu supplantateur.

  1. Ou Siva.
  2. Siva est à la fois le dieu de la destruction et de la reproduction. C’est pourquoi il a pour symboles le bident et le lingam. (G. A.)
  3. Voyez tome XVIII, pages 149, 540.
  4. Rudren ou Ruder est un des noms symboliques du premier personnage de la trinité, Brama. (G. A.)
  5. Origène, dans la réfutation qu’il publia de Celse, après la mort de ce philosophe, assure que les conjurations de la magie ne peuvent réussir que quand le magicien se sert des noms propres convenables ; que si l’on fait une conjuration par le nom de dieu supplantateur, destructeur, ou même par des noms traduits