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SUR L’INDE.

indubitable que les Indiens sont les inventeurs de la métempsycose, et les premiers auteurs de la théologie.

Il nous semble que c’est au grand Thibet que la sublime folie de la métempsycose a produit le plus grand effet. Les lamas ont su persuader aux Tartares de ce pays que leur grand prêtre était immortel, et la populace, qui croit tout, le croit encore. Le fait est que les lamas eux-mêmes étant imbus de l’idée fantasque que l’âme de leur pontife passait dans l’âme de son successeur, ils ont enté sur cette absurdité sacrée une autre folie plus respectée encore du peuple, c’est que ce grand lama ne meurt jamais. On a vu ailleurs des opinions si bizarres qu’un homme sage est en doute de savoir dans quel pays le bon sens a été le plus outragé.

Optimus ille est
. . . . . . . . qui minimis urgetur
[1].


ARTICLE XXV.


D’UNE TRINITÉ RECONNUE PAR LES BRAMES. DE LEUR PRÉTENDUE IDOLÂTRIE.


Personne ne doute aujourd’hui que les brachmanes et leurs successeurs n’aient toujours reconnu un Dieu suprême, créateur, conservateur, rémunérateur, punisseur, et miséricordieux. « Ces idolâtres, dit le jésuite Bouchet[2], reconnaissent un Dieu infiniment parfait, qui existe de toute éternité, et qui renferme en soi les plus excellents attributs. » Ensuite, pour prouver qu’ils sont idolâtres, il dit que, selon eux, « il y a une distance infinie entre Dieu et tous les êtres, et qu’il a créé des substances intermédiaires entre lui et les hommes ». Le jésuite Bouchet n’est ni conséquent ni poli : il veut empêcher les brames d’ériger des temples à ces êtres subalternes supérieurs à l’homme, tandis que ces brames permettaient aux jésuites de bâtir des chapelles à Ignace et à Xavier, de baiser à genoux le prétendu cadavre de Xavier, de l’invoquer, et d’offrir de l’encens à ses os vermoulus. Certes, si l’on avait demandé dans Goa à un voyageur chinois quel est l’idolâtre, ou de ce jésuite ou de ce brame, il aurait répondu, en jugeant selon les apparences : C’est ce jésuite.

Tout le monde convient que les brames reconnurent toujours

  1. Horace, livre Ier, satire iii, 68-69.
  2. Recueil ixe, page 6. (Note de Voltaire.)