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SUR L’INDE.

Nous avons rapporté ailleurs mille preuves de cette vérité évidente[1]. Les Grecs et les Romains, en adorant le Dieu très-bon et très-grand, rendaient aussi leurs hommages à une foule de divinités secondaires ; mais nous répéterons ici[2] qu’il est aussi absurde de leur reprocher l’idolâtrie parce qu’ils reconnaissaient des êtres supérieurs à l’homme et subordonnés à Dieu qu’il serait injuste de nous accuser d’être idolâtres parce que nous vénérons des saints[3].

Les métamorphoses d’Ovide n’étaient point la religion de l’em-

  1. Voyez la partie philosophique de cette édition. Nous citerons ici un passage de Sénèque qui confirme cette opinion de M. de Voltaire, et qui prouve combien ceux qui ont accusé les Romains de polythéisme ou d’idolâtrie ont eu d’ignorance ou de mauvaise foi. Dans toutes les nations un peu éclairées, les hommes d’un état supérieur au peuple ont reconnu un Dieu suprême.

    « Ne hoc quidem crediderunt (veteres) Jovem, qualem in Capitolio et in cœteris ædibus colimus, mittere manu fulmina, sed eumdem quem nos Jovem intelligunt, custodem rectoremque universi, animum ac spiritum, mundani hujus operis dominum et artificem, cui nomen omne convenit. Vis illum fatum vocare ? non errabis ; hic est ex quo suspensa sunt omnia, causa causarum. Vis illum providentiam dicere ? recte dices ; est enim cujus consilio huic mundo providetur, ut inconfusus eat, et actus suos explicet. Vis illum naturam vocare ? non peccabis ; est enim ex quo nata sunt omnia, cujus spiritu vivimus. Vis illum vocare mundum ? non falleris ; ipse enim est totum quod vides, totus suis partibus inditus, et se sustinens vi sua. Idem Etruscis quoque visum est ; et ideo fulmina a Jove mitti dixerunt, quia sine illo nihil geritur. (Sen. Quœst. nat., lib. II, cap. xlv.) — Ils n’ont pas même cru (les anciens) que le Jupiter qui lance la foudre fût celui qu’on adore dans le Capitole et dans les autres temples ; ils ont désigné le même Jupiter que nous, le surveillant et le conservateur de l’univers, l’âme et l’esprit du grand tout, l’architecte et le maître de ce grand édifice du monde, enfin un être à qui tous les noms conviennent. Voulez-vous l’appeler le destin ? vous ne vous tromperez pas ; c’est de lui que tout dépend, il est la cause des causes. Voulez-vous le nommer la providence ? vous aurez encore raison ; c’est lui dont la sagesse pourvoit à tous les besoins du monde, y entretient l’ordre, en dirige les mouvements. Voulez-vous lui donner le nom de nature ? vous ne serez pas répréhensible ; c’est lui qui a donné la naissance à tous les êtres ; c’est son souffle qui nous anime. Voulez-vous enfin le désigner sous le nom général de monde ? ce ne sera pas non plus une erreur ; le grand tout que vous voyez n’est que lui-même ; il est disséminé tout entier dans ses propres parties, et se soutient par sa propre énergie. Les Étrusques ont pensé comme nous ; et s’ils lui ont attribué l’émission de la foudre, c’est que rien ne se fait sans lui. » (Traduction de M. de La Grange) (K.)

    — C’est au chapitre x de Dieu et les Hommes (voyez tome XXVIII, page 150), que Voltaire parle de la croyance des Égyptiens en un Dieu suprême ; et les éditeurs de Kehl avaient classé Dieu et les Hommes dans la division qu’ils avaient appelée Philosophie.

  2. Voyez tome XI, page 83.
  3. Que pourraient en effet penser des Chinois, des Tartares, des Arabes, des Persans, des Turcs, s’ils voyaient tant d’églises dédiées à saint Janvier, à saint Antoine, à saint François, à saint Fiacre, à saint Hoch, à sainte Claire, à sainte Ragonde, et pas une au maître de la nature, à l’essence suprême et universelle par qui nous vivons ? (Note de Voltaire.)