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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

À l’égard du général Lally, on le chargeait d’avoir assiégé Goudelour au lieu d’assiéger d’abord Saint-David ; de n’avoir pas marché aussitôt à Madras ; d’avoir évacué le poste de Chéringan ; de n’avoir pas envoyé trois cents hommes de renfort, noirs ou blancs, à Masulipatan ; d’avoir capitulé à Pondichéry, et de n’avoir pas capitulé[1].

Il fut question de savoir si M. de Soupire, maréchal de camp, avait continué ou non le service militaire depuis la perte de Cangivaron, poste assez inconnu à la Tournelle. Il est vrai qu’en interrogeant Lally sur de tels faits on avait soin de lui dire que c’étaient des opérations militaires sur lesquelles on n’insistait pas ; mais on n’en tirait pas moins des inductions contre lui. À ces chefs d’accusation que nous avons entre les mains en succédaient d’autres sur sa conduite privée. On lui reprochait de s’être mis en colère contre un conseiller de Pondichéry, et d’avoir dit à ce conseiller, qui se vantait de donner son sang pour la compagnie : « Avez-vous assez de sang pour fournir du boudin aux troupes du roi, qui manquent de pain ? » (No 74.)

On l’accusait d’avoir dit des sottises à un autre conseiller. (No 87.)

D’avoir condamné un perruquier, qui avait brûlé de son fer chaud l’épaule d’une négresse, à recevoir un coup du même fer sur son épaule[2]. (No 88.)

De s’être enivré quelquefois. (No 104.)

D’avoir fait chanter un capucin dans la rue. (No 105.)

D’avoir dit que Pondichéry ressemblait à un bordel, où les uns caressaient les filles, et où les autres les voulaient jeter par les fenêtres. (No 106.)

D’avoir rendu quelques visites à Mme Pigot, qui s’était échappée de chez son mari. (No 108.)

D’avoir fait donner du riz à ses chevaux, dans le temps qu’il n’avait point de chevaux. (No 112.)

D’avoir donné une fois aux soldats du punch fait avec du coco. (No 131.)

  1. Le maréchal Keith disait à une impératrice de Russie : « Madame, si vous envoyez en Allemagne un général traître et lâche, vous pouvez le faire pendre à son retour. Mais s’il n’est qu’incapable, tant pis pour vous, pourquoi l’avez-vous choisi ? C’est votre faute, il a fait ce qu’il a pu ; vous lui devez encore des remerciements. » Ainsi, quand on aurait prouvé que Lally était incapable, ce qu’on était encore bien loin de prouver, puisqu’il avait eu du succès tant qu’il n’avait pas manqué de troupes et d’argent, tant qu’on lui avait obéi, il aurait encore été très-injuste de le condamner. (Note de Voltaire.)
  2. Cette accusation est très-remarquable ; elle prouve quelles idées les gens de Pondichéry ont de la justice, et quelle espèce de témoins on entendait. (K.)