Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.


ARTICLE XIX.


FIN DU PROCÈS CRIMINEL CONTRE LALLY. SA MORT.


Par une fatalité singulière, et qui ne se voit peut-être qu’en France, le ridicule se mêle presque toujours aux événements funestes. C’était un très-grand ridicule en effet de voir des hommes de paix, qui n’étaient jamais sortis de Paris que pour aller à leurs maisons de campagne, interroger, avec un greffier, des officiers généraux de terre et de mer sur leurs opérations militaires.

Les membres du conseil marchand de Pondichéry, les actionnaires de Paris, les directeurs de la compagnie des Indes, les employés, les commis, leurs femmes, leurs parents, criaient aux juges et aux amis des juges contre le commandant d’une armée qui consistait à peine en mille soldats. Les actions étaient tombées parce que le général était un traître, et que l’amiral s’était allé radouber, au lieu de livrer un quatrième combat naval. On répétait les noms de Trichenapali, de Vandavachi, de Chétoupet. Les conseillers de la grand’chambre achetaient de mauvaises cartes de l’Inde, où ces places ne se trouvaient pas[1].

On faisait un crime à Lally de ne s’être pas emparé de ce poste nommé Chétoupet avant d’aller à Madras. Tous les maréchaux de France assemblés auraient eu bien de la peine à décider de si loin si on devait assiéger Chétoupet ou non, et on portait cette question à la grand’chambre ! Les accusations étaient si multipliées qu’il n’était pas possible que, parmi tant de noms indiens, un juge de Paris ne prît souvent une ville pour un homme, et un homme pour une ville.

Le général de terre accusait le général de mer d’être la première cause de la chute des actions, tandis que lui-même était accusé par tout le conseil de Pondichéry d’être l’unique principe de tous les malheurs.

Le chef d’escadre fut assigné pour être ouï. On l’interrogeait, après serment de dire la vérité, pourquoi il avait mis le cap au sud, au lieu de s’être embossé au nord-est entre Alamparvé et Goudelour, noms qu’aucun Parisien n’avait entendu prononcer auparavant. Heureusement il n’avait point de cabale formée contre lui.

  1. On prétend qu’un des juges demanda à une personne de la famille de M. de Lally si Pondichéry était bien à deux cents lieues de Paris. (Note de Voltaire.) — Cette note est posthume.