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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

aura tout le soin possible d’elles, et on ne les livrera point à leurs ennemis. Fait à notre quartier général, près de Pondichéry, le 15 janvier 1761. »

Il fallut obéir aux ordres du colonel Cootes. Il entra dans la ville. La petite garnison mit bas les armes. Le colonel ne dîna point avec le général, contre lequel il était piqué, mais chez le gouverneur de la compagnie, nommé Duval de Leirit, avec plusieurs membres du conseil.

M. Pigot, gouverneur de Madras pour la compagnie anglaise, réclama son droit sur Pondichéry : on ne put le lui disputer, parce que c’était lui qui payait les troupes. Ce fut lui qui régla tout après la conquête. Le général Lally était toujours très-malade ; il demanda à ce gouverneur anglais la permission de rester encore quatre jours à Pondichéry : il fut refusé ; on lui signifia qu’il fallait partir le lendemain pour Madras.

Nous pouvons remarquer comme une chose assez singulière que Pigot était d’une origine française, comme Lally d’une origine irlandaise : l’un et l’autre combattait contre son ancienne patrie.

Cette rigueur fut la plus légère que le général essuya. Les employés de la compagnie, les officiers de ses troupes, qu’il avait insultés lorsqu’il devait les punir, se réunirent tous contre lui. Les employés surtout l’insultèrent jusqu’au moment de son départ, affichant contre lui des placards, jetant des pierres à ses fenêtres, l’appelant à grands cris traître et scélérat. La troupe grossissait par les indifférents qui s’y joignaient, et qui étaient bientôt échauffés de la fureur des autres. Une troupe d’assassins, à la tête de laquelle on voyait un conseiller de l’Inde, depuis un des principaux témoins admis à déposer contre lui, l’attendait à la place par laquelle on devait le transporter couché sur un palanquin, suivi au loin de quinze houssards anglais nommés pour l’escorter pendant sa route jusqu’à Madras. Le colonel Cootes lui avait permis de se faire accompagner de quatre de ses gardes jusqu’à la porte ; les séditieux environnèrent son lit en le chargeant d’injures, et en le menaçant de le tuer. On eût cru voir des esclaves qui voulaient assommer de leurs fers un de leurs compagnons. Il continua sa marche au milieu d’eux, tenant de ses mains affaiblies deux pistolets. Ses gardes et les houssards anglais le garantirent de leur fureur[1].

  1. L’officier anglais voulait charger ces misérables. Lally l’en empêcha, et eut la générosité de leur sauver la vie. (Note de Voltaire.)