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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

Nous ne spécifions ici que les faits dont tous les partis conviennent.

Le comte de Lally fit démolir cette forteresse et toutes les métairies voisines. C’était un ordre du ministère, ordre dangereux qui attira bientôt de tristes représailles. Le fort Saint-David pris, le général disposa tout sur-le-champ pour la conquête de Madras. Il écrivit à M. de Bussy, qui était alors au fond du Décan : « Dès que je serai maître de Madras, je me porte sur le Gange, soit par terre, soit par mer. Ma politique est dans ces cinq mots : Plus d’Anglais dans la péninsule. » Son ardeur ne put alors être satisfaite ; la flotte n’était pas en état de le seconder. Elle venait d’essuyer un second combat naval le 2 juillet 1758, à la vue de Pondichéry, plus désavantageux encore que le premier. Le comte d’Aché y avait reçu deux blessures, et, dans ce combat meurtrier, il avait soutenu avec cinq vaisseaux délabrés les efforts d’une armée navale plus forte que la sienne. Il quitte l’Inde le 2 septembre, malgré les efforts que faisaient pour le retenir le général, les principaux officiers de l’armée, les membres du conseil, et part pour l’île de France, où il croyait sans doute que sa présence serait plus utile et sa flotte plus en sûreté.

À l’entrée de la côte de Coromandel est une assez belle province qu’on nomme Tanjaour. Le raïa de ce pays, à qui les Français et les Anglais donnaient le nom de roi, était un prince très-riche. La compagnie prétendait que ce prince lui devait environ treize millions de France.

Le gouverneur de Pondichéry pour la compagnie exigea du général qu’il allât redemander cet argent l’épée à la main. Un jésuite français, nommé Lavaur, supérieur de la mission des Indes, lui disait et lui écrivait que « la Providence bénissait ce projet d’une manière sensible ». Nous serons obligés de parler encore de ce jésuite, qui a joué un grand et funeste rôle dans toutes ces aventures. Il suffit de dire à présent que le général, dans sa route, passa sur les terres d’un autre petit prince dont les neveux avaient offert depuis peu à la compagnie quatre laks de roupies, environ un million, pour avoir le petit État de leur oncle, et le chasser du pays. Le jésuite exhorta vivement le comte de Lally à cette bonne œuvre. Voici mot pour mot une de ses lettres : « La loi des successions dans ce pays-ci est la loi du plus fort. Il ne faut pas regarder l’expulsion d’un prince sur le même pied qu’on la regarderait en Europe. »

Il lui disait dans une autre lettre : « Il ne faut pas travailler pour la seule gloire des armes de Sa Majesté. À bon entendeur,