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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

mon honneur impunément ; mes juges doivent songer à garder le leur. »

Presque tous les principaux agents de la compagnie anglaise en ont usé de même. Leurs profusions ont égalé leurs richesses. Les actionnaires y perdent, l’Angleterre y gagne, puisqu’au bout de quelques années chacun vient répandre dans sa patrie ce qu’il a pu amasser sur les bords du Gange et sur les côtes de Coromandel et de Malabar ; c’est ainsi que les trésors immenses conquis par l’amiral Anson, en faisant le tour du monde, et ceux que tant d’autres amiraux acquirent par tant de prises, augmentèrent l’opulence de la nation.

Depuis les victoires du lord Clive, les Anglais ont régné dans le Bengale ; les nababs qui ont voulu les attaquer ont été repoussés. Mais enfin on a craint à Londres que la compagnie ne pérît par l’excès de son bonheur, comme la compagnie française a été détruite par la discorde, la disette, la modicité des secours venus trop tard, les changements continuels de ministres, qui, ne pouvant avoir sur l’Inde que des idées confuses et fausses, changeaient au hasard des ordres donnés aveuglément par leurs prédécesseurs.

Tous les malheurs de la France retombaient nécessairement sur la compagnie. On ne pouvait la secourir efficacement quand on était battu en Allemagne, qu’on perdait le Canada, la Martinique, la Guadeloupe en Amérique, l’île de Corée en Afrique, tous les établissements sur le Sénégal, que tous les vaisseaux étaient pris, et qu’enfin le roi et les citoyens vendaient leur vaisselle[1] pour payer des soldats : faible ressource dans de si grandes calamités.


ARTICLE XIII.


ARRIVÉE DU GÉNÉRAL LALLY ; SES SUCCÈS, SES TRAVERSES. CONDUITE D’UN JÉSUITE NOMMÉ LAVAUR.


Ce fut dans ces circonstances que le général Lally et le chef d’escadre d’Aché, après avoir séjourné quelque temps à l’île de Bourbon, entrèrent dans la rade de Pondichéry le 28 avril 1758. Le vaisseau nommé le Comte de Provence, qui portait le général, fut salué de coups de canon à boulets, dont il fut très-endommagé. Cette étrange méprise, ou cette méchanceté de quelques

  1. Voyez les lettres du 24 novembre 1759.