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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

sans espérance. Il apprit qu’il y avait une grotte où vivait un saint faquir (ce sont des moines, des ermites mahométans). Doula se réfugia dans la grotte de ce saint. Sa surprise fut extrême quand il reconnut dans le faquir un fripon auquel il avait fait autrefois couper le nez et les deux oreilles. Le prince et le saint se réconcilièrent au moyen de quelque argent ; mais, pour en avoir davantage, le faquir dénonça le fugitif à son vainqueur. Doula fut pris, et condamné à la mort par Jaffer : ses prières et ses larmes ne le sauvèrent pas ; il fut exécuté impitoyablement, après qu’on lui eut jeté de l’eau sur la tête par une cérémonie bizarre établie de temps immémorial sur les bords du Gange, à l’eau duquel les peuples ont attribué de singulières propriétés. C’est une espèce de purification imitée depuis par les Égyptiens ; c’est l’origine de l’eau lustrale chez les Grecs et chez les Romains, et d’une cérémonie pareille chez des peuples plus nouveaux. On trouva dans les papiers de ce malheureux prince toute sa correspondance avec MM. de Bussy et Lass.

C’est pendant le cours de cette expédition que le général Clive courut à la conquête de Chandernagor, le poste alors le plus important que les Français eussent dans l’Inde, rempli d’une quantité prodigieuse de marchandises, et défendu par cent soixante pièces de canon, cinq cents soldats français et sept cents noirs.

Clive et Watson n’avaient que quatre cents hommes de plus : cependant au bout de cinq jours il fallut se rendre. La capitulation fut signée d’un côté par le général et l’amiral, et de l’autre par les préposés Fournier, Nicolas, La Potière, et Caillot, le 23 mars 1757. Ces commissaires demandèrent que le vainqueur laissât les jésuites dans la ville ; Clive répondit : « Les jésuites peuvent aller partout où ils voudront, hors chez nous. »

Les marchandises qu’on trouva dans les magasins furent vendues cent vingt-cinq mille livres sterling (environ deux millions huit cent soixante mille francs). Tous les succès des Anglais dans cette partie de l’Inde furent dus principalement aux soins de ce célèbre Clive. Son nom fut respecté à la cour du Grand Mogol, qui lui envoya un éléphant chargé de présents magnifiques, et une patente de raïa. Le roi d’Angleterre le créa pair en Irlande. C’est lui qui, dans les derniers débats qui s’élevèrent au sujet de la compagnie des Indes, répondit à ceux qui lui demandaient compte des millions qu’il avait ajoutés à sa gloire : « J’en ai donné un à mon secrétaire, deux à mes amis, et j’ai gardé le reste pour moi. » Dans une autre séance il dit : « Nul n’attaquera