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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

l’exemple d’Aurengzeb, son dessein était de s’emparer de l’Inde entière : on ne peut douter qu’il ne fût très-ambitieux, puisqu’il était à portée de l’être ; on ajoute qu’il méprisait son empereur, faible et dur, inappliqué et sans courage, et qu’il baissait également tous ces marchands étrangers qui venaient profiter des troubles de l’empire et les augmenter. Dès qu’il eut pris le fort des Anglais, il menaça ceux des Hollandais et des Français ; ils se rachetèrent pour des sommes d’argent très-modiques dans ce pays : les Français, pour environ six cent mille livres ; les Hollandais, pour douze cent mille francs, parce qu’ils sont plus riches. Ce prince ne s’occupa point alors à les détruire. Il avait dans ses armées un rival de son ambition, son parent et parent du Grand Mogol, plus à craindre pour lui qu’une société de marchands. Suraia-Doula pensait d’ailleurs comme plus d’un vizir turc et plus d’un sultan de Constantinople, qui ont voulu chasser quelquefois tous les ambassadeurs des princes d’Europe et toutes leurs factoreries, mais qui leur ont fait payer chèrement le droit de résider en Turquie.

À peine eut-on reçu à Madras la nouvelle du danger où les Anglais étaient sur le Gange qu’on envoya par mer à leur secours tout ce qu’on put ramasser d’hommes portant les armes.

M. de Bussy, qui était dans ces quartiers avec quelques troupes, profita de cette conjoncture ; lui et M. Lass s’emparèrent de tous les comptoirs anglais par delà Masulipatan, sur la côte de la grande province d’Orixa, entre celles de Golconde et de Bengale. Ce succès rendit quelques forces à la compagnie affaiblie, qui devait bientôt succomber.

Cependant l’amiral Watson et le colonel Clive, vainqueurs d’Angria et libérateurs de toute la côte du Malabar, venaient aussi au Bengale par la mer de Coromandel. Ils apprirent dans leur route qu’il n’y avait plus de retour pour eux dans la ville de Calcutta qu’en combattant ; et ils firent force de voiles. Ainsi la guerre fut partout, en peu de temps, depuis Surate jusqu’aux bouches du Gange, dans un contour d’environ mille lieues, comme elle l’est si souvent en Europe entre tant de princes chrétiens dont les intérêts se croisent et changent continuellement pour le malheur des hommes.

Quand l’amiral Watson et le colonel Clive arrivèrent à la rade de Calcutta, ils trouvèrent ce bon quaker, gouverneur de la ville, et ceux qui s’étaient sauvés avec lui, retirés dans des barques délabrées sur le Gange : on ne les avait point poursuivis. Le souba avait cent mille soldats, des canons, des éléphants, mais