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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

qui échappèrent à cette contagion subite. On le mena, lui et vingt-deux officiers de la factorerie mourants, à Maxadabad, capitale du Bengale. Le souba eut pitié d’eux, et leur fit ôter leurs fers. Holwell lui offrit une rançon : le prince la refusa, en lui disant qu’il avait trop souffert sans être encore obligé de payer sa liberté.

C’est ce même Holwell qui avait appris non-seulement la langue des brames modernes, mais encore celle des anciens brachmanes. C’est lui qui a écrit depuis des mémoires si précieux sur l’Inde[1], et qui a traduit des morceaux sublimes des premiers livres écrits dans la langue sacrée, plus anciens que ceux du Sanchoniathon de Phénicie, du Mercure de l’Égypte, et des premiers législateurs de la Chine. Les savants brames de Bénarès attribuent à ces livres environ cinq mille ans d’antiquité.

Nous saisissons avec reconnaissance cette occasion de rendre ce que nous devons à un homme qui n’a voyagé que pour s’instruire. Il nous a dévoilé ce qui était caché depuis tant de siècles ; il a fait plus que les Pythagore et les Apollonius de Tyane. Nous exhortons quiconque veut s’instruire comme lui à lire attentivement les anciennes fables allégoriques, sources primitives de toutes les fables qui ont depuis tenu lieu de vérités en Perse, en Chaldée, en Égypte, en Grèce, et chez les plus petites et les plus misérables hordes, comme chez les plus grandes et les plus florissantes nations. Ces objets sont plus dignes de l’étude du sage[2] que ces querelles de quelques commis pour de la mousseline et des toiles peintes, dont nous serons obligés, malgré nous, de dire un mot dans le cours de cet ouvrage.

Pour revenir à cette révolution dans l’Inde, le souba, qui s’appelait Suraia-Doula, était un Tartare d’origine. On disait qu’à


    encore inutile en France ? C’était autrefois un sacrilége : jusqu’à quand cette horreur sera-t-elle un acte de piété ? (Note de Voltaire.)

  1. Événements historiques intéressants, relatifs aux provinces de Bengale et à l’empire de l’Indostan : on y a joint la mythologie, la cosmogonie, etc., traduits en français, 1768, 2 vol. in-8o.
  2. Ce n’est pas que nous ayons une foi aveugle pour tout ce que nous débite M. Holwell : il ne faut l’avoir pour personne : mais enfin il nous a démontré que les Gangaridos avaient écrit une mythologie, bonne ou mauvaise, il y a cinq mille ans, comme le savant et judicieux jésuite Parennin nous a démontré que les Chinois étaient réunis en corps de peuple vers ces temps-là. Et s’ils l’étaient alors, il fallait bien qu’ils le fussent auparavant : de grandes peuplades ne se forment pas en un jour. Ce n’est donc pas à nous, qui n’étions que des sauvages barbares quand ces peuples étaient policés et savants, à leur contester leur antiquité. Il se peut que, dans la foule des révolutions qui ont dû tout changer sur la terre, l’Europe ait cultivé des arts et connu des sciences avant l’Asie ; mais il n’en reste aucun vestige, et l’Asie est pleine d’anciens monuments. (Note de Voltaire.)