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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

sont que des rochers inabordables. Il en fortifia une en creusant des fossés dans le roc. Ses bastions étaient soutenus par des murs épais de dix à douze pieds, et garnis de canons. C’était là qu’il renfermait son butin. Son fils et son petit-fils continuèrent le même métier, et avec plus de succès. Une province entière, derrière Bombay, était soumise à ce dernier Angria. Mille vagabonds marattes, indiens, renégats chrétiens, nègres, étaient venus augmenter cette république de brigands, presque semblable à celle d’Alger. Les Angria faisaient bien voir que la terre et la mer appartiennent à qui sait s’en rendre maître. Nous voyons tour à tour deux voleurs se former de grandes dominations au nord et au sud de l’Inde : l’un est Abdala vers Caboul ; l’autre Angria vers Bombay. Et combien de grandes puissances n’ont pas eu d’autres commencements !

Il fallut que l’Angleterre armât consécutivement deux flottes contre ces nouveaux conquérants. L’amiral James, en 1755, commença cette guerre, qui en effet en méritait le nom, et l’amiral Watson l’acheva. Le capitaine Clive, depuis si célèbre, y signala ses talents militaires. Toutes les retraites de ces illustres voleurs furent prises l’une après l’autre. On trouva, dans le rocher qui leur servait de capitale, des amas immenses de marchandises ; deux cents canons, des arsenaux d’armes de toute espèce, la valeur de cent cinquante millions, monnaie de France, en or, en diamants, en perles, en aromates : ce qu’on rassemblerait à peine dans toute la côte de Coromandel et dans celle du Pérou était caché dans ce rocher. Angria échappa. L’amiral Watson prit sa mère, sa femme et ses enfants prisonniers. Il les traita avec humanité, comme on peut bien le croire. Le plus jeune des enfants, entendant dire qu’on n’avait pu trouver Angria, se jeta au cou de l’amiral et lui dit : « Ce sera donc vous qui me servirez de père. » M. Watson se fit expliquer ces paroles par un interprète ; elles l’attendrirent jusqu’aux larmes, et en effet il servit de père à toute la famille. Cette action et ce bonheur mémorable étaient compensés dans le chef-lieu des établissements anglais au Bengale par un désastre plus sensible.

Il s’éleva une querelle entre leur comptoir de Calcutta sur le Gange, et le souba du Bengale. Ce prince crut que les Anglais avaient à Calcutta une garnison considérable, puisqu’ils l’avaient bravé. Cette ville ne renfermait pourtant qu’un conseil de marchands et environ trois cents soldats. Le plus grand prince de l’Inde marcha contre eux avec soixante mille soldats, trois cents canons et trois cents éléphants.