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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

mais celui que Dieu envoie pour châtier les nations de la terre[1]. »

Le trésor dont Nadir se contenta, et qui ne lui servit de rien puisqu’il fut assassiné quelque temps après par son neveu, se montait, à ce qu’on nous assure, à plus de quinze cents millions, monnaie de France, selon la valeur numéraire présente de nos espèces. Que sont devenues ces richesses immenses ? En quelques mains que de nouvelles rapines en aient fait passer une partie, et quelles que soient les cavernes où l’avarice et la crainte enfouissent l’autre, la Perse et l’Inde ont été également les pays les plus malheureux de la terre, tant les hommes se sont toujours efforcés de changer en calamités effroyables tous les biens que la nature leur a faits. La Perse et l’Inde ne furent plus, depuis la victoire et la mort de Nadir, qu’une anarchie sanglante. C’étaient les mêmes torrents de révolutions.


ARTICLE IX.


SUITE DES RÉVOLUTIONS.


Un jeune valet persan qui avait servi en qualité de porte-massue dans la maison du Sha-Nadir se fit voleur de grand chemin, comme l’avait été son maître. Il eut avis d’un convoi de trois mille chameaux chargés d’armes, de vivres, et d’une grande partie de l’or emporté de Delhi par les Persans. Il tua l’escorte, prit tout le convoi, leva des troupes, et s’empara d’un royaume entier au nord-est de Delhi[2]. Ce royaume faisait autrefois une partie de la Bactriane ; il confine d’un côté aux montagnes de la belle province de Cachemire, et de l’autre à Caboul.

Ce brigand, nommé Abdala[3], fut alors un grand prince, un

  1. Un conte semblable a été fait sur Fernand Cortès, sur Tamerlan, sur Attila, qui s’intitulait flagellum Dei, le fléau de Dieu, suivant la traduction des compilateurs modernes. Personne ne s’avisa jamais de s’appeler fléau. Les jésuites appelaient Pascal porte d’enfer : mais Pascal leur répond dans ses Provinciales que son nom n’est pas porte d’enfer. La plupart de ces aventures et de ces réponses, attribuées d’âge en âge à tant d’hommes célèbres, sortirent d’abord de l’imagination des auteurs qui voulurent égarer leurs romans, et sont répétées encore aujourd’hui par ceux qui écrivent des histoires sur des collections de gazettes. Tous ces bons mots prétendus, tous ces apophthegmes grossissent des ana. On peut s’en amuser, et non les croire. (Note de Voltaire.) — Voyez la XVe des Lettres provinciales.
  2. Ce royaume s’appelle Chisni. Nous n’avons trouvé ce nom ni dans les cartes de Vaugondi, ni dans nos dictionnaires ; cependant il a existé, et il est aujourd’hui démembré. (Note de Voltaire.)
  3. Ou mieux Ahmed-Abdalli.