Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
À MADAME DE LA FLACHÈRE.

venez de satisfaire au devoir pascal[1], et vous l’avez sans doute fait précéder d’un examen sérieux de votre conscience. Eh quoi ! la conscience ne vous a rien reproché par rapport à M. Desmartres, votre neveu ? Vous croyez pouvoir rester neutre dans ses différends avec messieurs vos frères ?

La nature a donné à un enfant, pour premiers défenseurs, ses père et mère ; à leur défaut, ses oncles et ses tantes. Ici le père et l’oncle sont les oppresseurs du fils : c’est donc à la tante qu’est dévolu le soin de le défendre. Oui, madame, c’est pour vous un devoir devant Dieu et devant les hommes[2]. En vain direz-vous que votre neveu vous a dispensée de ce soin en se mariant sans votre aveu ; l’omission d’un devoir de bienséance, surtout l’omission étant forcée, ne saurait vous dispenser d’une obligation que la nature vous impose indépendamment de la religion.

Par votre silence vous avez enhardi les oppresseurs ; vous avez approuvé les injustices que vous ne condamniez pas ; vous y avez consenti. Vous êtes donc injuste vous-même. Or, ignorez-vous, madame, que les injustes n’entreront point dans le royaume des cieux[3] ? Premier scrupule[4].

Vous vous croyez en sûreté de conscience en ne prenant aucune part au procès. Quelle est donc votre morale ou votre religion ? Second scrupule[5].

Il y aura avant la Pentecôte deux nouveaux Mémoires imprimés, lesquels seront suivis de fort près par quatre autres Mémoires, tous destinés à traiter en particulier chacune de nos prétentions : ils seront courts afin qu’ils soient lus ; mais ils n’en seront pas moins forts de choses. Nous avons fait des oppositions sur les biens de M. de Laborde, et les oppositions seront converties en saisies réelles au premier jugement que nous aurons. Les avocats, les procureurs, les huissiers, les notaires, nous consomment en frais. C’est une perte réelle, une perte énorme, une perte

  1. Quel ministre du Seigneur, qui veut persuader à Mme de La Flachère qu’elle doit entretenir le feu de la discorde dans la famille, parce qu’elle a fait ses pâques ! (Note de Voltaire.)
  2. Quel ministre du Seigneur, qui dit que Dieu et les hommes exigent d’une tante qu’elle soutienne son neveu, qu’il a marié clandestinement malgré toute la famille. (Id.)
  3. Saint Paul, Ire aux Corinthiens, vi, 9.
  4. Quel ministre du Seigneur, qui assure que Mme de La Flachère sera damnée pour n’avoir pas plaidé contre son frère. (Note de Voltaire.)
  5. Quel ministre du Seigneur ! si on n’intente point un procès infâme à sa famille, on n’a point de religion. (Id.)