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572 LA VOIX

��ARTICLE IL

��Emu et troublé dans toutes les puissances de mon âme, je crus voir, pendant la nuit, Jésus-Christ lui-même, suivi de quel- ques-uns de ses apôtres. Tout son extérieur annonçait Ihumilité et la pauvreté : mais il nourrissait cinq mille hommes ^ dans un désert avec quelques pains et quelques poissons. Je crus voir dans un autre désert quelques moines et leur abbé, possédant cent mille livres de rente, et enchaînant douze mille hommes au heu de les nourrir.

Il me parut que Jésus se transporta dans un moment, quoique à pied, du désert de Génézareth à celui de Saint-Claude; il de- manda aux moines pourquoi ils étaient si riches et pourquoi ils enchaînaient ces douze mille Gaulois. Un des moines (c'était le cellérier) répondit : u Seigneur, c'est parce que nous les avons faits chrétiens ; nous leur avons ouvert le ciel, et nous leur avons pris la terre. '>

Jésus-Christ repartit en ces mots : « Je ne croyais pas être venu sur cette terre, y avoir enduré la pauvreté, les travaux et la faim, pratiqué constamment Thumilité et le désintéressement, uniquement pour enrichir des moines aux dépens des hommes.

— Oh: répliqua le cellérier, les choses sont bien changées depuis vous et vos premiers disciples. Vous étiez lÉglise souifrante, et nous sommes lÉglise triomphante. Il est juste que les triom- phateurs soient des seigneurs opulents. Vous paraissez étonné que nous ayons cent mille livres de rente et des esclaves : que diriez- vous donc si vous saviez qu'il y a des abbayes qui en ont deux et trois fois davantage sans avoir de meilleurs titres que nous ? »

A ces mots je m'écriai : <* N'y aura-t-il plus de frein sur la terre ? L'heureux accablera-t-il toujours l'infortuné ? »

Le tonnerre gronda, et la vision disparut.

ARTICLE III.

Quand je fus remis de ma frayeur, je m'appliquai à étudier avec le plus grand soin ce fameux procès de douze mille citoyens contre vingt moines sécularisés. Je sus que ces moines n'avaient été élevés à la dignité de chanoines qu'en 1742; que depuis ce temps on avait donné plusieurs canonicats à des hommes qui,

I. Matthieu, ïiv, -21; Marc, vi, 41: Luc, ix, 14; Jean, m, 10.

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