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DU CURÉ. 571

C'était pourtant sur ces mensonges, si contemptibles aux yeux de tous les savants et si punissables aux yeux de la justice, qu'autrefois les moines de Saint-Claude avaient fondé leurs richesses, leurs usurpations, et l'esclavage du malheureux peuple dont la Providence m'a fait le pasteur.

11 y a plus. Les tyrans de ces malheureux colons n'ont point dégénéré de leurs prédécesseurs ; ils ont tronqué, falsifié un arrêt du parlement de Besançon, rendu le 12 décembre 1679, entre eux et un sieur Boissette, pour cette même mainmorte; ils ont osé imprimer récemment qu'ils avaient gagné ce procès, tandis que le greffe dépose qu'ils ont été condamnés. C'est ce même procès qui sert aujourd'hui contre eux de nouvelle preuve : ils ont été faussaires dans le xii« siècle, ils le sont dans le xviii*; ils mentent à la justice'.

Passant à tout moment de la surprise à l'indignation, je vis enfin qu'un très-petit nombre de moines avait réussi insensible- ment à réduire à Fesclavage douze mille citoyens, douze mille serviteurs du roi, douze mille hommes nécessaires à l'État, aux- quels ils avaient vendu solennellement la propriété des mêmes terrains dans lesquels ils les enchaînent aujourd'hui. Chaque ligne me remplissait d'effroi et de douleur, et je suis bien per- suadé que nos juges, ainsi que tous les lecteurs, auront éprouvé les mêmes sentiments que moi.

« QnoJ! disais-je en moi-même, des moines ont vendu à des hommes libres des terrains immenses dont ils s'étaient emparés par de fausses Chartres, et ensuite ils auront fait des esclaves de ces hommes lil)res, en abusant de leur ignorance, en intimidant leurs consciences, en les faisant trembler sous le joug de l'In- quisition lorsque la Franche-Comté, si mal nommée Franche, appartenait à l'Espagne! Ah! c'était plutôt à ces colons qui ache- tèrent ces terrains à imposer la mainmorte aux moines ; c'était aux propriétaires incontestables que ce droit de mainmorte appartenait : car enfin tout moine est mainmortablc par sa nature; il n'a rien sur la terre, son seul bien est dans le ciel, et la terre appartient à ceux qui l'ont achetée. »

��1. Voyez les pages 115 et 117 du livre intitulé Dissertation 'nir rétablissement de Vabbaye de Saint-Claude, ses chroniques, ses légendes, etc. {Note de Voltaire.)

— Ce n'est point dans la Dissertation que se trouvent les passages auxquels renvoie Voltaire, mais dans la Collection des Mémoires qui est à la suite; voyez la note 1 de la page précédente.

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