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570 LA VOIX

Elle me fit voir l'arrêt du parlement de Besançon, qu'elle avait entre les mains. Ma surprise redoubla. J'appris par mon senti- ment qu'on pouvait être en même temps pénétré de douleur et de joie. J'avoue que je répandis bien des larmes ; je bénis le par- lement, je bénis Dieu ; j'embrassai en pleurant mes chers parois- siens, qui pleuraient avec moi ; je leur demandai pour quel crime leurs ancêtres avaient été condamnés à une si horrible servitude dans le pays de la franchise. Mais quel fut l'excès de mon éton- nement, de ma terreur, de ma pitié, quand j'appris que les titres sur lesquels ces moines fondaient leur usurpation étaient évi- demment d'anciens ouvrages de faussaires ; qu'il suffisait d'avoir des yeux pour en être convaincu ; que, dans plus d'une contrée, des gens appelés bénédictins, bernardins, prémontrés, avaient commis autrefois des crimes de faux, et qu'ils avaient trahi la religion pour exterminer tous les droits de la nature.

Un des avocats qui avaient plaidé pour ces infortunés, et qui avait sauvé la pauvre Mermet des serres de la rapacité, accourut alors, et me donna un livre instructif et nécessaire, intitulé Disser- tation sur Vahbaye de Saint-Claude, ses chroniques, ses légendes, ses Chartres, ses usurpations, et sur les droits des habitants de cette terre^.

Je congédiai mes paroissiens ; je lus attentivement cet ouvrage, que tous nos juges et tous ceux qui aiment la vérité ont lu sans doute avec fruit.

Je fus d'abord effrayé de la quantité des Chartres supposées, de ce nombre prodigieux de faux actes découverts par le savant et pieux chancelier d'Aguesseau, et avant lui par les Launoi, par les Baillet, par les Dumoulin.

Je vis, avec le sentiment douloureux de la pitié indignée d'avoir été trompée par des fables, que toutes les légendes de Saint-Claude n'étaient qu'un ramas des plus grossiers mensonges, inventés, comme le dit Baillet, au xii" et au xiir siècle; je vis que des diplômes de l'empereur Charlemagne, de l'empereur Lothaire, d'un Louis l'Aveugle, se disant roi de Provence, de l'empereur Fré- déric ^^ de l'empereur Charles IV, de Sigismond son fils, étaient autant d'impostures aussi méprisables que la Légende dorée-.

��\. 1772, in-8" de 190 pages. Cet ouvrage est de l'avocat Chrislin. On trouve ordinairement relié à sa suite: CoUeclion des Mémoires présentés au conseil du roi par les habitants du Mont- Jura et le chapitre de Saint-Claude, avec l'arrêt rendu par ce tribunal, 1772, in-8" de 16i pages, contenant sept pièces, dont une seule, la première, est de Voltaire: c'est celle qui a pour titre : Au roi en son conseil; voyez page 353.

2. Voyez tome Mil, page 175.

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