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IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


ne disputerai avec aucun d'eux ; je souhaite seulement qu'ils soient tous unis dans le dessein de s'aider mutuellement, de s'aimer, et de se rendre heureux les uns les autres, autant que des hommes d'opinions si diverses peuvent s'aimer, et autant qu'ils peuvent contribuer à leur bonheur : ce qui est aussi difficile que nécessaire.

« Pour cet effet, je leur conseille d'abord de jeter dans le feu tous les livres de controverse qu'ils pourront rencontrer, et surtout ceux du jésuite Garasse, du jésuite Guignard, du jésuite Malagrida, du jésuite Patouillet, du jésuite Nonotte, et du jésuite Paulian, le plus impertinent de tous ; comme aussi la Gazette ecclésiastique, et tous autres libelles qui ne sont que l'aliment de la guerre civile des sots.

«  Ensuite chacun de nos frères, soit théiste, soit turc, soit païen, soit chrétien grec, ou chrétien latin, ou anglican, ou Scandinave, soit juif, soit athée, lira attentivement [1] quelques pages des Offices de Cicéron, ou de Montaigne, et quelques fables de La Fontaine.

« Cette lecture dispose insensiblement les hommes à la concorde, que tous les théologiens ont eue jusqu'ici en horreur. Les esprits étant ainsi préparés, toutes les fois qu'un chrétien et un musulman rencontreront un athée, ils diront : « Notre cher frère, le ciel vous illumine ! » et l'athée répondra : « Dès que je serai converti, je viendrai vous en remercier. »

« Le théiste donnera deux baisers à la femme manichéenne à l'honneur des deux principes. La grecque et la romaine en donneront trois à chacun des autres sectaires, soit quakers, soit jansénistes. Elles ne seront tenues que d'embrasser une seule fois les sociniens, attendu que ceux-là ne croient qu'une seule personne en Dieu ; mais cet embrassement en vaudra trois, quand il sera fait de bonne foi.

« Nous savons qu'un athée peut vivre très-cordialement avec un juif, surtout si celui-ci ne lui prête de l'argent qu'à huit pour cent ; mais nous désespérons de voir jamais une amitié bien vive entre un calviniste et un luthérien. Tout ce que nous exigeons du calviniste, c'est qu'il rende le salut au luthérien avec quelque

  1. On lit dans un manuscrit : « Lisez attentivement le livre de la Félicité publique, livre dont tout homme, dans quelque siècle qu'il soit né, peut faire sa félicité particulière. — Ce livre dispose, etc. »

    L'auteur de la Félicité publique est le marquis de Chastellux ; son ouvrage, imprimé en 1771, a eu une seconde édition en 1776. Une édition publiée en 1822, deux volumes in-8°, est enrichie de notes posthumes et inédites de Voltaire. (B.)