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DISCOURS

l’on peut faire ces reproches : ils conviennent également aux premiers, à ceux mêmes qui avaient été instruits par Paul. Cela paraît évident par ce qu’il leur écrivait, car je ne crois pas que Paul eût été assez impudent pour reprocher, dans ses lettres, des crimes à ses disciples, dont ils n’avaient pas été coupables. S’il leur eût écrit des louanges, et qu’elles eussent été fausses, il aurait pu en avoir honte, et cependant tâcher, en dissimulant, d’éviter le soupçon de flatterie et de bassesse ; mais voici ce qu’il leur mandait sur leurs vices[1] : « Ne tombez pas dans l’erreur : les idolâtres, les adultères, les paillards, ceux qui couchent avec les garçons, les voleurs, les avares, les ivrognes, les querelleurs, ne posséderont pas le royaume des cieux. Vous n’ignorez pas, mes frères, que vous aviez autrefois tous ces vices, mais vous avez été plongés dans l’eau, et vous avez été sanctifiés au nom de Jésus-Christ. » Il est évident que Paul dit à ses disciples qu’ils

  1. C’est dans la première épître aux Corinthiens, chap. vi, v. 9-11. Plusieurs anciens exemplaires grecs portent : « Vous avez été tout cela, καὶ ταῦτα τινὲς ἦτε » ; mais tous les anciens exemplaires latins portent : et hœc quidem fuistis, et non pas quidam fuistis. Il importe peu de savoir si les garçons de boutique de Corinthe à qui Paul écrit cette lettre avaient tous été ivrognes, voleurs, paillards et sodomites, ou si la plus grande partie avait eu toutes ces belles qualités, La question est de savoir si de l’eau fraîche peut laver tant de crimes : c’est là de quoi il est question.

    Ah nimium faciles, qui tristia crimina cædis
    Fluminea tolli posse putatis aqua !

    (Ovid., Fast., II, 45-46.)

    Les expiations furent le principal objet de toutes les religions. Les charlatans de tous les pays firent aisément accroire à la populace qu’on lave l’âme comme on lave le corps. On croit que les brachmanes furent les premiers qui imaginèrent ces ablutions. Les prêtres égyptiens baptisaient tous leurs initiés ; les Juifs prirent bientôt cette coutume, ainsi que tant d’autres cérémonies égyptiennes. Non-seulement on arrosait les prêtres quand on les consacrait, mais on arrosait les lépreux quand on les supposait guéris. Le baptême des prosélytes se faisait par l’immersion totale du corps. Une femme étrangère enceinte qui embrassait la religion juive était mise toute nue dans l’eau ; il fallait même qu’elle y plongeât la tête, et alors l’enfant dont elle accouchait était réputé juif.

    D’ordinaire il n’appartenait qu’aux prêtres de baptiser ; mais ceux qui se disaient prophètes, sans être prêtres, se mêlaient de baptiser aussi, Jean le baptiseur, se donnant pour prophète, se mit à baptiser dans le Jourdain tous ceux qui voulaient expier leurs crimes, et il eut même des disciples qui firent une secte nouvelle, laquelle subsiste encore vers l’Arabie. Jésus fut baptisé par lui, et ne baptisa jamais personne. Les chrétiens attachèrent depuis à leur baptême une vertu singulière. Le vol, le meurtre, le parricide, tout était expié au nom de leur Trinité ; c’est ce que Julien semble avoir ici principalement en vue : il se souvenait que Constantin son grand-père, et Constance son oncle, avaient attendu l’heure de leur mort pour être baptisés, dans la ridicule espérance qu’un bain d’eau froide leur donnerait une vie éternellement heureuse, après s’être souillés à loisir d’incestes, de rapines, de meurtres, et de parricides. (Note de Voltaire.)