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A CICERON. 433

Quand j'obéis aux commaiulemeuts de mon général, et qu'on obéit aux miens, les volontés de mon général et les miennes ne sont point des corps qui en font mouvoir d'autres par les lois du mouvement. Un raisonnement n'est point le son d'une trompette. On me commande par intelligence, j'obéis par intelligence. Cette volonté signifiée, cette volonté que j'accomplis, n'est ni un cube ni un globe, n'a aucune figure, n'a rien de la matière. Je puis donc la croire immatérielle. Je puis donc croire qu'il y a quelque chose qui n'est pas matière.

// n'y a que des esprits et point de corps. Cela est bien délié et bien fin, la matière ne serait qu'un phénomène! Il suffit déman- ger et de boire, et de s'être blessé d'un coup de pierre^ an bout du doigt pour croire à la matière.

Je possède dans mon corps une âme spirituelle. Qui? moi ! je serais la boîte dans laquelle serait un être qui ne tient point de place? Moi, étendu, je serais l'étui d'un être non étendu ? Je posséderais quelque chose qu'on ne voit jamais, qu'on ne touche jamais, de laquelle on ne peut avoir la moindre image, la moindre idée? Il faut être bien hardi pour se vanter de posséder un tel trésor. Comment le posséderais-je, puisque toutes mes idées me viennent si souvent malgré moi, pendant ma veille et pendant mon som- meil ? C'est un plaisant maître de ses idées qu'un être qui est toujours maîtrisé par elles.

Une âme spirituelle posshle mon corps. Cela est bien plus hardi à elle : car elle aura beau ordonner à ce corps d'arrêter le cours rapide de son sang, de rectifier tous ses mouvements internes, il n'obéira jamais. Elle possède un animal bien indocile.

Mon âme est le résultat de tous mes sens. C'est uncafl'aire difficile à concevoir, et par conséquent à expliquer.

Le son d'une lyre, le toucher, l'odeur, la vue, le goût d'une pomme d'Afrique ou de Perse, semblent avoir peu de rapport avec une démonstration d'Archimède; et je ne vois pas bien net- tement comment un principe agissant serait dans moi la consé- quence de cinq autres principes. J'y rêve, et je n'y entends rien du tout.

Je puis penser sans nez : je puis penser sans goût, sans jouir de la vue, et même ayant perdu le sentiment du tact. Ma pensée n'est donc pas le résultat des choses qui peuvent m'être enlevées

��1. C'est ainsi qu'on lit dans les éditions de 1771 et 1772. Decroix proposait de mettre : «blessé d'un coup d'épingle au bout du doigt », ou seulement : «blessé au bout du doi?t ». ("B.l

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