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DISCOURS

non-seulement sur toutes les villes, mais encore sur toutes les côtes maritimes. Le même Minos, ayant associé son frère à son royaume, lui donna à gouverner une partie de ses sujets. Minos établit des lois admirables, qui lui avaient été communiquées par Jupiter ; et c’était selon ces lois que Rhadamante exerçait la justice.

Mais qu’a fait votre Jésus, qui, après avoir séduit quelques Juifs des plus méprisables, est connu seulement depuis trois cents ans ? Pendant le cours de sa vie il n’a rien exécuté dont la mémoire soit digne de passer à la postérité, si ce n’est que l’on ne mette au nombre des grandes actions qui ont fait le bonheur de l’univers la guérison de quelques boiteux et de quelques démoniaques[1] des petits villages de Bethsaïda et de Béthanie.

Après que Rome eut été fondée elle soutint plusieurs guerres, se défendit contre les ennemis qui l’environnaient, et en vainquit une grande partie ; mais le péril étant augmenté, et par conséquent le secours lui étant devenu plus nécessaire, Jupiter lui donna Numa, qui fut un homme d’une vertu admirable, qui, se retirant souvent dans des lieux écartés, conversait avec les dieux familièrement, et recevait d’eux des avis très-salutaires sur les lois qu’il établit et sur le culte des choses religieuses.

Il paraît que Jupiter donna lui-même une partie de ces institutions divines à la ville de Rome, par des inspirations à Numa, par la Sibylle, et par ceux que nous appelons devins. Un bouclier[2] tomba du ciel ; on trouva une tête en creusant sur le mont

  1. C’est ici ce qu’on appelle un argument ad hominem. « Je vous passe la guérison de quelques boiteux, de quelques démoniaques. » Il semble qu’en effet Julien avait le faible de croire à toutes les guérisons miraculeuses d’Esculape, et qu’avec tous les Grecs et tous les Romains, il reconnaissait des démoniaques. Toutes les maladies inconnues étaient attribuées aux mauvais génies chez les Romains et chez les Grecs. Les Juifs n’avaient pas manqué d’ajouter cette superstition à toutes celles dont ils étaient accablés. L’exorcisme était établi depuis longtemps chez eux comme chez les Grecs. Julien dit donc aux chrétiens : Vous exorcisez, et nous aussi ; vous guérissez des boiteux, et nous aussi. Il pouvait même ajouter : Vous avez ressuscité des morts, et nous aussi. Car chez les Grecs, Pélops, Hippolyte, Eurydice, furent ressuscités. Apollon fut chassé du ciel pour avoir ressuscité trop de morts. Il semble que les nations aient disputé à qui dirait le plus de sottises. (Note de Voltaire.)
  2. Julien pouvait se passer de citer ce bouclier tombé du ciel. S’il est abominable d’adorer une croix, il est ridicule de révérer un bouclier. Tous les peuples ont adopté de pareilles rêveries. On gardait dans Jérusalem un boisseau de la manne céleste. Les rois francs ont eu leur ampoule apportée par un pigeon, et leur oriflamme leur fut donnée par un ange. La maison de Lorette est venue par les airs. Ces bêtises sont inventées dans des temps grossiers. On en rit ensuite, et on les laisse subsister pour la populace, qui les aime. Mais