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AUX PARLEMENTS.


lui faut apporter ; quelle maladie contagieuse menace un pays, et comment on peut en arrêter le cours. Il agit en tout comme vous agiriez à sa place ; et il pense comme vous penseriez.

Composé de magistrats qui ont administré des provinces entières, il en connaît la force et la faiblesse ; ce sont eux que l’on consulte, et que l’on doit consulter, quand il faut que la nation contribue aux besoins de la nation, et qu’elle paye à elle-même un tribut qui doit lui revenir par la circulation.

Vous ne pensez pas, sans doute, que ce conseil nombreux ne soit pas aussi intéressé que vous au maintien des lois, à la répartition juste des impôts nécessaires qu’il paye comme vous et nous. Il est citoyen comme vous et nous ; mais il est juge suprême ; et certes cet orateur a raison, qui dit que ce tribunal juge les justices.

Il les doit juger, puisqu’il est exempt des intérêts et des préjugés de corps qui agitent quelquefois un tribunal de province ; puisqu’il n’est point exposé aux jalousies qui arment tant de compagnies les unes contre les autres jusque dans la capitale ; puisqu’il n’a jamais de prérogatives à défendre contre un intendant, contre un gouvernement. Hors de la sphère de ces embarras et de ces querelles, c’est à lui de modérer ceux que leur état y expose.

Combien de fois l’esprit de parti, qui divisera toujours les hommes, s’est-il glissé jusque dans les tribunaux les plus éclairés et les plus équitables ? N’a-t-on pas vu les officiers du parlement de Rennes, dont les sentiments sont aussi nobles que leur naissance, partagés en deux factions ?

Celui de Provence, qui a produit tant de magistrats illustres, et dont le procureur général[1] est si distingué par son éloquence, n’a-t-il pas eu dans son sein des membres qui se sont élevés contre lui dans la condamnation universelle prononcée contre les jésuites ?

Ne fut-il pas si divisé dans le procès du frère Girard et de la Cadière que la moitié des juges opina pour brûler frère Girard[2], et l’autre moitié pour condamner aux dépens les accusateurs.

Faut-il rappeler ici l’horrible événement des Calas ? Les yeux des juges, si clairvoyants d’ailleurs, furent fascinés par les emportements d’une populace aveugle, par l’appareil d’un catafalque qu’éleva le zèle le plus imprudent, par cette fureur religieuse

  1. J.-P.-F. Ripert de Monclar, mort en 1773 : voyez tome XXV, page 93.
  2. Voyez la note, tome XXIV, page 243.