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DE L’EMPEREUR JULIEN.

quelle raison vous vous efforcez de lui donner un substitut, et de mettre un autre à sa place.

Il n’est aucun mortel aussi sujet à la violence des passions que le Dieu des Hébreux. Il se livre sans cesse à l’indignation, à la colère, à la fureur ; il passe dans un moment d’un parti à l’autre. Ceux qui parmi vous, Galiléens, ont lu le livre auquel les Hébreux donnent le nom de Nombres, connaissent la vérité de ce que je dis. Après que l’homme qui avait amené une Madianite, qu’il aimait, eut été tué, lui et cette femme, par un coup de javeline. Dieu dit à Moïse[1] : « Phinées, fils d’Éleazar, fils d’Aaron le sacrificateur, a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël, parce qu’il a été animé de mon zèle au milieu d’eux, et je n’ai point consumé et réduit en cendres les enfants d’Israël par mon ardeur. » Peut-on voir une cause plus légère que celle pour laquelle l’écrivain hébreu représente l’Être suprême livré à la plus terrible colère ? Et que peut-on dire de plus absurde et de plus contraire à la nature de Dieu ? Si dix hommes, quinze si l’on veut, mettons-en cent, allons plus avant, mille, ont désobéi aux ordres de Dieu, faut-il, pour punir dix hommes, et même mille, en faire périr vingt-quatre mille[2], comme il arriva dans


    Dieu signifiait un homme attaché à la loi de Dieu, comme fils de Bélial signifiait un homme débauché, un pervers. Loin d’oser l’égaler à Dieu, on lui fait dire : Mon père est plus grand que moi [Jean, xiv, 28] ; il n’y a que mon père qui sache ces choses [Luc, xii, 30] ; je vais à Dieu, je vais à mon père [Jean, xiv, 12, 28].

    Paul lui-même ne dit jamais que Jésus soit Dieu, il dit tout le contraire. [Épître aux Romains, v. 15] « Le don de Dieu s’est répandu sur nous par un seul homme, qui est Jésus-Christ. — [Ibid., xvi, 27] À Dieu, qui est le seul sage, honneur et gloire par Jésus. — Nous [Ibid., viii, 17], les héritiers de Dieu et cohéritiers de Christ. — Tout lui est assujetti, en exceptant sans doute Dieu. »

    On ne peut dire ni plus positivement ni plus souvent que Jésus n’était qu’un homme. On s’enhardit peu à peu. D’abord on le fait oint, messie, puis fils de Dieu, puis enfin Dieu. On était encouragé à ce comble de hardiesse par les Grecs et les Romains, qui divinisèrent tant de héros. C’est ainsi que tout s’établit. Le premier pas effraye ; le dernier ne coûte plus rien. (Note de Voltaire.)

  1. Nombres, chap. xxv, v. 10-12. Rien n’est plus horrible que les assassinats sacrés dont les livres juifs fourmillent. On en compte plus de trois cent mille, et cela pour les causes les plus légères. Heureusement tant d’assassinats sont incroyables. Il faut que ceux qui se plurent à les écrire eussent des âmes aussi insensées qu’atroces. Tous ces contes sont infiniment au-dessous de l’histoire de Gargantua, qui avalait sept pèlerins en mangeant des laitues. Du moins Rabelais donnait son extravagant roman pour ce qu’il était, et on ose faire Dieu auteur du roman où il est dit qu’on tue en un jour vingt-quatre mille Juifs pour une Madianite. (Id.)
  2. Voyez : un homme des enfants d’Israël vint, et amena à ses frères une Madianite ; ce que Phinées, fils d’Éleazar, ayant vu, il se leva du milieu de l’assemblée, et prit une javeline en main ; et il entra vers l’homme israélite dans la tente, et les transperça tous deux par le ventre, l’homme israélite et la femme ; et la