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DE L’EMPEREUR JULIEN.

mêmes hommes, qu’il abandonne au hasard, et aux âmes desquels il ne prend aucune part. Voyez combien votre opinion est ridicule dans les biens qui concernent les hommes : observons ici que ceux qui regardent l’esprit sont bien au-dessus de ceux du corps. Si donc l’Être suprême a méprisé le bonheur de nos âmes ; n’a pris aucune part à ce qui pouvait rendre notre état heureux ; ne nous a jamais envoyé, pour nous instruire, des docteurs, des législateurs, mais s’est contenté d’avoir soin des Hébreux, de les faire instruire par Moïse et par les prophètes, de quelle espèce de grâce pouvons-nous le remercier ? Loin qu’un sentiment aussi injurieux à la divinité suprême soit véritable, voyez combien nous lui devons de bienfaits qui vous sont inconnus. Elle nous a donné des dieux et des protecteurs qui ne sont point inférieurs à celui que les Juifs ont adoré dès le commencement, et que Moïse dit n’avoir eu d’autre soin que celui des Hébreux. La marque évidente que le Créateur de l’univers a connu que nous avions de lui une notion plus exacte et plus conforme à sa nature que n’en avaient les Juifs, c’est qu’il nous a comblés de biens, nous a donné en abondance ceux de l’esprit et ceux du corps, comme nous le verrons dans peu. Il nous a envoyé plusieurs législateurs dont les moindres n’étaient pas inférieurs à Moïse, et les autres lui étaient bien supérieurs.

S’il n’est pas vrai que l’Être suprême a donné le gouvernement particulier de chaque nation à un dieu, à un génie qui régit et protège un certain nombre d’êtres animés qui sont commis à sa garde, aux mœurs et aux lois desquels il prend part, qu’on nous apprenne d’où viennent, dans les lois et les mœurs des hommes, la différence qui s’y trouve. Répondre que cela se fait par la volonté de Dieu, c’est ne nous apprendre rien. Il ne suffit pas d’écrire dans un livre : « Dieu a dit, et les choses ont été faites ; » car il faut voir si ces choses qu’on dit avoir été faites par la volonté de Dieu ne sont pas contraires à l’essence des choses : auquel cas elles ne peuvent avoir été faites par la volonté de Dieu, qui ne peut changer l’essence des choses. Je m’expliquerai plus clairement. Par exemple, Dieu commanda que le feu s’élevât, et que la terre fût au-dessous. Il fallait donc que le feu fût plus léger, et la terre plus pesante. Il en est ainsi de toutes les choses. Dieu ne saurait faire que l’eau fût du feu, et le feu de l’eau en même temps, parce que l’essence de ces éléments ne peut permettre ce changement, même par le pouvoir divin. Il en est de même des essences divines que des mortelles : elles ne peuvent être changées. D’ailleurs il est contraire à l’idée que nous avons