Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée
344
REQUÊTE

qui notre indigence travaille, qui consomme un revenu immense dans le faste et dans la tranquillité, qui a le plaisir de faire son salut en carême avec des soles, des turbots, et du vin de Bourgogne, et qui jouit encore du plaisir plus flatteur, à ce qu'on dit, d'être puissant dans ce monde.

Dites-nous, sages magistrats, si la nourriture du peuple n'est pas une chose purement de police, et si elle doit dépendre de la volonté arbitraire d'un seul homme, qui n'a ni ne peut avoir aucun droit sur la police du royaume.

Nous croyons qu'un évêque a le droit de nous prescrire, sous peine de péché, l'abstinence pendant le saint temps de carême, et dans les autres temps marqués par l'Église. L'usage de la chair est alors défendu aux riches par les saints canons, comme il nous est interdit tous les jours par notre pauvreté. Mais qu'il y ait de l'arbitraire dans les commandements de l'Église, c'est ce que nous ne concevons pas. Qu'un homme puisse à son gré nous priver des seuls aliments de carême qui nous restent, c'est ce qui nous parait un attentat à notre vie ; et nous mettons cette malheureuse vie sous votre protection.

C'est à vous seuls, chargés de la police générale du royaume, à voir si la loi de la nécessité n'est pas la première des lois, et si les pasteurs de nos âmes ont le pouvoir de faire mourir de faim les corps de leurs ouailles au milieu des œufs de nos poules et des mauvais fromages que nos mains ont pressurés. Sans cette protection que nous vous demandons, le sort de nos plus vils animaux serait infiniment préférable au nôtre. Oui, nous jeûnons ; mais c'est à vous seuls de connaître des misérables aliments que nous fournissent nos campagnes. Les substituts de messieurs les procureurs généraux, tous les juges inférieurs, savent que nous n'avons que des œufs et du fromage ; que les seuls riches ont, au mois de mars, des légumes dans leurs serres, et du poisson dans leurs viviers.

Nous demandons à jeûner, mais non à mourir. L'Église nous ordonne l'abstinence, mais non la famine. On nous dit que ces lois viennent d'un canton d'Italie, et que ce canton d'Italie doit gouverner la France ; que nos évêques ne sont évêques que par la permission d'un homme d'Italie. C'est ce qui passe nos faibles entendements, et sur quoi nous nous en rapportons à vos lumières ; mais ce que nous savons très-certainement, c'est que les parties méridionales d'Italie produisent des légumes nourrissants dans le temps du carême, tandis que, dans nos climats tant vantés, la nature nous refuse des aliments. Nous entendons chanter