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DE LOUIS XIV.

Portugais. Enfin il fallait ou nous ruiner pour acheter ce superflu de nos voisins, ou nous ruiner un peu moins en allant le chercher nous-mêmes. Les Anglais avaient des compagnies dans l'Inde, et les Hollandais, des royaumes. Il s'agissait d'être leur tributaire ou leur rival.

Qu'on se transporte dans ces temps de gloire et d'espérance ; qu'on juge si on aurait été bien venu à dire alors aux Français : Payez à vos ennemis ce que vous pouvez vous procurer vous-mêmes. Une preuve que ce grand projet de commerce était très-bien imaginé par le ministère, c'est qu'il fut redouté des puissances maritimes. Tout établissement est bon quand vos ennemis en sont jaloux.

Les Hollandais nous prirent Pondichéry en 1693. C'était la moindre récompense que le roi de France dût attendre de son invasion en Hollande, invasion qu'assurément on n'attribuera pas au sage Colbert, mais au superbe et laborieux ennemi de Colbert, des Hollandais, et de Turenne [1].

Le ministre des finances fut jeté hors de toutes ses mesures par cette guerre, pour laquelle il fallut faire quatre cents millions de mauvaises affaires, qu'il avait en horreur. Il dépendit des traitants, dont il avait voulu abolir pour jamais le fatal service.

Ce n'est pas lui non plus qui persécuta les protestants. Il savait trop combien ils étaient utiles dans les finances, le commerce, les manufactures, la marine, et même l'agriculture. Il sentit la plaie de l'État. J'ai vu des notes de lui chez M. de Montmartel, dans lesquelles il dit qu'il a eu les mains liées. Ces notes sont de 1683, l'année la plus brillante de la finance, et malheureusement l'année de sa mort.

Mme de Caylus, nièce de Mme de Maintenon, née protestante comme sa tante, dit expressément dans ses Souvenirs que « le roi fut trompé dans cette longue et malheureuse affaire par ceux en qui ce monarque avait mis sa confiance [2] ». Il avait le jugement sain et droit, mais qui, n'étant pas éclairé par l'histoire de son propre royaume, pouvait être aisément séduit par un confesseur, par un ministre, et fasciné par les prospérités. On lui fit toujours croire qu'il était assez grand pour dominer d'un mot sur toutes les consciences. Il fut trompé comme il le fut depuis par le jésuite

  1. Louvois.
  2. Mme de Caylus dit : « Le roi était naturellement si vrai qu'il n'imaginait pas, quand il avait donné sa confiance à quelqu'un, qu'il put le tromper ; et les fautes qu'il a faites n'ont souvent eu pour fondement que cette opinion de probité pour des gens qui ne la méritaient pas. »