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OU LES LOUANGES DE DIEU.


LE PREMIER ADORATEUR.

Mon frère, puisque vous aimez Dieu, puisque vous êtes vertueux, loin de maudire votre naissance, bénissez-la. Vous avez commencé par remercier, finissez de même. Vivez pour servir l'Être des êtres et les créatures. Tous ceux qui ont inventé des fables pour expliquer l'origine du mal et de la prétendue dégradation de l'homme ont rendu Dieu ridicule : rendez-le respectable.

Souvenez-vous que les effets d'une cause nécessaire sont nécessaires aussi. C'est l'opinion de tous les sages : elle produit une vertu consolante, la résignation. Grâces à la résignation, la faiblesse de l'innocence opprimée par les tyrans goûte quelque paix dans l'exil et dans les chaînes. C'est par la résignation que l'homme se soutient contre l'invincible nécessité qui le presse. Tout émane sans doute du grand Être : la justice, la bienfaisance, la tolérance, en émanent donc aussi.

Soyons justes, bienfaisants, tolérants, puisque c'est la destinée des sages et la nôtre ; laissons les imbéciles perdre leurs jours sans penser, et les fripons penser à persécuter les âmes honnêtes. Résignons-nous quand nous voyons un petit homme né dans la fange [1], pétri de tout l'orgueil de la sottise, de toute l'avarice attachée à son éducation, de toute l'ignorance de son école, vouloir dominer insolemment, prétendre faire respecter par les autres têtes toutes les chimères de la sienne, calomnier avec bassesse, et chercher à persécuter avec cruauté. Cet amas de turpitudes est dans sa nature, comme la soif du sang est dans la fouine, et la gravitation dans la matière.

D'ailleurs, toute consolation nous est-elle interdite? N'est-il pas possible qu'il y ait dans nous quelque principe indestructible qui renaîtra dans l'ordre des choses ? Rien n'est sorti du néant, rien n'y rentre : omnia mutantur, nihil interit [2]. S'il était nécessaire qu'un peu de pensée fût pour quelques moments, je ne sais comment, dans un corps de cinq pieds et demi, organisé comme nous le sommes, pourquoi ce don de la pensée ne sera-t-il pas accordé à un des atomes qui a été le principal et l'invisible organe de cette machine? Ajoutons à nos vertus celle de l'espérance ; souffrons dans cette courte vie les tyranniques bêtises que nous ne pouvons empêcher ; tachons seulement de ne point dire de bêtise sur le grand Être.

  1. J.-J. Rousseau ; voyez tome XXVII. page 339.
  2. Ovide, Metam.., XV, 65.