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DE MADAME DE CAYLUS.

assez d’impression pour en écrire à Mme Bouzoles [1]d’une manière qui me rendit auprès du roi beaucoup de mauvais offices.

Le roi fit le mariage de M. le duc d’Orléans avec Mlle de Blois [2].

A peine M. le duc de Chartres fut-il marié et maître de lui qu’on le vit adopter des goûts qu’il n’avait pas ; il courtisa toutes les femmes, et la liberté qu’il se donna dans ses actions et dans ses propos souleva bientôt les dévots qui fondaient sur lui de grandes espérances [3].

M. le duc du Maine se maria dans le même temps, et épousa, comme je l’ai dit, une fille de Monsieur le Prince ; l’aînée avait épousé M. le prince de Conti, cadet de celui qui mourut de la petite vérole, et Mme la duchesse du Maine n’était pas l’aînée de celle qui restait à marier : cependant on la préféra à sa sœur, sur ce qu’elle avait peut-être une ligne de plus. Peut-on marquer plus sensiblement, ni même plus bassement, qu’on se sente honoré d’une alliance ! Mlle de Condé, aînée de Mme du Maine, ressentit vivement cet affront, et elle en a conservé le souvenir jusqu’à la fin de ses jours. J’avoue qu’on lui avait fait tort, et que si elle était un tant soit peu plus petite, elle était beaucoup mieux faite [4], d’un esprit plus doux et plus raisonnable.

A peine Mme du Maine fut-elle mariée qu’elle se moqua de tout ce que Monsieur le Prince lui put dire ; dédaigna de suivre les exemples de Madame la Princesse et les conseils de Mme de Maintenon : ainsi, s’étant rendue bientôt incorrigible, on la laissa en liberté de faire tout ce qu’elle voulut. La contrainte qu’il fallait avoir à la cour l’ennuya : elle alla à Sceaux jouer la comédie [5] et faire tout ce qu’on a entendu dire des nuits blanches [6], et tout le reste.

  1. Sœur de M. de Torcy, amie intime de Madame la Duchesse, et femme de beaucoup d’esprit.
  2. Tout ce qu’on dit sur ce mariage, dans les Mémoires de madame de Maintenon, n’est qu’un tissu de sots mensonges.
  3. Les dévots n’ont jamais eu rien à espérer de lui que des ridicules.
  4. Elle épousa depuis M. le duc de Vendôme, qui ne fut pas d’humeur de lui faire des enfants.
  5. Elle l’aimait beaucoup, et la jouait fort mal ; on la vit sur le même théâtre avec Baron : c’était un singulier contraste ; mais sa cour était charmante, on s’y divertissait autant qu’on s’ennuyait alors à Versailles ; elle animait tous les plaisirs par son esprit, par son imagination, par ses fantaisies. On ne pouvait pas ruiner son mari plus gaiement.
  6. Ces nuits blanches étaient des fêtes que lui donnaient tous ceux qui avaient l’honneur de vivre avec elle. On faisait