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PRÉFACE.

ont de l'esprit et du sentiment sans en affecter jamais. C'est grand dommage qu'elle ait eu si peu de souvenir, et qu'elle quitte le lecteur lorsqu'il s'attend qu'on lui parlera des dernières années de Louis XIV et de la régence. Peut-être même l'esprit philosophique qui règne aujourd'hui ne sera pas trop content des petites aventures de cour qui sont l'objet de ces mémoires. On veut savoir quels ont été les sujets des guerres ; quelles ressources on avait pour les finances ; comment la marine dépérit après avoir été portée au plus haut point où on l'eût jamais vue chez aucune nation; à quelles extrémités Louis XIV fut réduit; comment il soutint ses malheurs, et comment ils furent réparés ; dans quelle confusion son confesseur Le Tellier jeta la France, et quelle part Mme de Maintenon put avoir à ces troubles intestins, aussi tristes et aussi honteux que ceux de la Fronde avaient été violents et ridicules. Mais tous ces objets ayant été presque épuisés dans l'histoire du Siècle de Louis XIV, on peut voir avec plaisir de petits détails qui font connaître plusieurs personnages dont on se souvient encore.

Ces particularités même servent dans plus d'une occasion à jeter de la lumière sur les grands événements.

D'ordinaire les petits détails des cours, si chers aux contemporains, périssent avec la génération qui s'en est occupée ; mais il y a des époques et des cours dont tout est longtemps précieux. Le siècle d'Auguste fut de ce genre. Louis XIV eut des jours aussi brillants, quoique sur un théâtre beaucoup moins vaste et moins élevé, Louis XIV ne commandait qu'à une province de l'empire d'Auguste ; mais la France acquit sous ce règne tant de réputation par les armes, par les lois, par de grands établissements en tout genre, par les beaux-arts, par les plaisirs même, que cet éclat se répand jusque sur les plus légères anecdotes d'une cour qui était regardée comme le modèle de toutes les cours, et dont la mémoire est toujours précieuse.

Tout ce que raconte Mme la marquise de Caylus est vrai ; on voit une femme qui parle toujours avec candeur. Ses Souvenirs serviront surtout à faire oublier cette foule de misérables écrits sur la cour de Louis XIV, dont l'Europe a été inondée par des auteurs faméliques qui n'avaient jamais connu ni cette cour, ni Paris.

Mme de Caylus, nièce [1] de Mme de Maintenon, parle de ce

  1. Mme de Caylus était arrière-petite-fille du célèbre Théodore-Agrippa d'Aubigné, et cousine germaine ou nièce (mais seulement à la mode de Bretagne) de Mme de Maintenon.