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DE L’EMPEREUR JULIEN.

sophe. « Dieux ! moi qui suis votre Créateur et celui de tous les êtres, je vous annonce que les choses que j’ai créées ne périront pas, parce que, les ayant produites, je veux qu’elles soient éternelles. Il est vrai que toutes les choses construites peuvent être détruites ; cependant il n’est pas dans l’ordre de la justice de détruire ce qui a été produit par la raison. Ainsi, quoique vous ayez été créés immortels, vous ne l’êtes pas invinciblement et nécessairement par votre nature, mais vous l’êtes par ma volonté. Vous ne périrez donc jamais, et la mort ne pourra rien sur vous, car ma volonté est infiniment plus puissante, pour votre éternité, que la nature et les qualités que vous reçûtes lors de votre formation. Apprenez donc ce que je vais vous découvrir. Il nous reste trois différents genres d’êtres mortels. Si nous les oublions ou que nous en omettions quelqu’un, la perfection de l’univers n’aura pas lieu, et tous les différents genres d’êtres qui sont dans l’arrangement du monde ne seront pas animés. Si je les crée avec l’avantage d’être doués de la vie, alors ils seront nécessairement égaux aux dieux. Afin donc que les êtres d’une condition mortelle soient engendrés, et cet univers rendu parfait, recevez, pour votre partage, le droit d’engendrer des créatures, imitez dès votre naissance la force de mon pouvoir. L’essence immortelle que vous avez reçue ne sera jamais altérée lorsqu’à cette essence vous ajouterez une partie mortelle ; produisez des créatures, engendrez, nourrissez-vous d’aliments, et réparez les pertes de cette partie animale et mortelle[1]. »

Considérons si ce que dit ici Platon doit être traité de songe et de vision. Ce philosophe nomme des dieux que nous pouvons voir, le soleil, la lune, les astres, et les cieux ; mais toutes ces choses ne sont que les simulacres d’êtres immortels, que nous ne saurions apercevoir[2]. Lorsque nous considérons le soleil, nous regardons l’image d’une chose intelligible et que nous ne pouvons découvrir ; il en est de même quand nous jetons les


    et qui arrangent tout ce qui est périssable ? Quoi de plus beau qu’un Dieu qui ne peut communiquer que l’immortalité ? Ce qui est mortel ne paraît pas digne de lui. (Note de Voltaire.)

  1. Parce que, selon Platon, le Dieu suprême ne peut rien créer ni former qui ne soit nécessairement immortel. Julien expliquera bientôt l’opinion de ce philosophe. (Id.)
  2. L’empereur est ici dans l’illusion de toute l’antiquité. Il croit que le soleil et les planètes sont des dieux secondaires. C’est une erreur, mais assurément plus pardonnable que celle des Juifs. Les Pères de l’Église ont même attaché des anges à ces grands corps. Ce que nous appelons des anges est précisément ce que l’antiquité appela des dieux. (Id.)