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CHAPITRE XLIII.
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tienne[1]. Nous sommes de son avis : c’est un arbre qui, de l’aveu de toute la terre, n’a porté jusqu’ici que des fruits de mort ; cependant nous ne voulons pas qu’on le coupe, mais qu’on le greffe.

Nous proposons de conserver dans la morale de Jésus tout ce qui est conforme à la raison universelle, à celle de tous les grands philosophes de l’antiquité, à celle de tous les temps et de tous les lieux, à celle qui doit être l’éternel lien de toutes les sociétés.

Adorons l’Être suprême par Jésus, puisque la chose est établie ainsi parmi nous. Les cinq lettres qui composent son nom ne sont certainement pas un crime. Qu’importe que nous rendions nos hommages à l’Être suprême par Confucius, par Marc-Aurèle, par Jésus, ou par un autre, pourvu que nous soyons justes ? La religion consiste assurément dans la vertu, et non dans le fatras impertinent de la théologie. La morale vient de Dieu, elle est uniforme partout. La théologie vient des hommes, elle est partout différente et ridicule, on l’a dit souvent[2], et il faut le redire toujours.

L’impertinence et l’absurdité ne peuvent être une religion. L’adoration d’un Dieu qui punit et qui récompense réunit tous les hommes ; la détestable et méprisable théologie raisonneuse les divise.

Cette théologie raisonneuse est en même temps le plus absurde et le plus abominable fléau qui ait jamais affligé la terre. Les nations anciennes se contentaient d’adorer leurs dieux, et n’argumentaient pas ; mais nous autres, nous avons répandu le sang de nos frères pendant des siècles pour des sophismes. Hélas ! qu’importe à Dieu et aux hommes que Jésus soit Omousios ou Omoiousios, que sa mère soit Theotocos ou Jesutocos, et que l’esprit procède ou ne procède pas ? Grand Dieu ! fallait-il se haïr, se persécuter, s’égorger, pour ces incompréhensibles chimères ? Chassez les théologiens, l’univers est tranquille (du moins en fait de religion). Admettez-les, donnez-leur de l’autorité ; la terre est inondée de sang. Ne sommes-nous pas déjà assez malheureux, sans vouloir faire servir à nos misères une religion qui devrait les soulager ? Les calamités horribles dont la religion chrétienne a inondé si longtemps tous les pays où elle est parvenue m’af-

  1. Dissertation où l’on prouve que l’abolissement du christianisme en Angleterre pourrait, dans les conjonctures présentes, engager nos royaumes dans quelques inconvénients, et peut-être ne pas produire tous les avantages qu’on semble en attendre. Une traduction française de cette Dissertation est à la suite de la traduction du Conte du Tonneau ; voyez la note 2, tome XXVI, page 206.
  2. Tome XVII, page 459 ; XIX, 549 ; XXV, 382 ; et, dans le présent volume, page 67.