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MORALE DE JÉSUS.

Mais que l’on considère quelle foule de gens de bien les prêtres outragés ont fait mourir. Non-seulement ceux qui ont été en butte à la rage des prêtres ont été persécutés par eux en tout pays, excepté dans l’ancienne Rome ; mais les lâches magistrats ont prêté leur voix et leurs mains à la vengeance sacerdotale, depuis Priscilien jusqu’au martyre des six cents personnes immolées sous notre infâme Marie[1] ; et on a continué ces massacres juridiques chez nos voisins. Que de supplices et d’assassinats ! les échafauds, les gibets, n’ont-ils pas été dressés dans toute l’Europe pour quiconque était accusé par des prêtres ? Quoi ! nous plaindrions Jean Hus, Jérôme de Prague, l’archevêque Cranmer, Dubourg, Servet, etc., et nous ne plaindrions pas Jésus !

Pourquoi le plaindre ! dit-on : il a établi une secte sanguinaire qui a fait couler plus de sang que les guerres les plus cruelles de peuple à peuple n’en ont jamais répandu.

Non : j’ose avancer, mais avec les hommes les plus instruits et les plus sages, que Jésus n’a jamais songé à fonder cette secte. Le christianisme, tel qu’il a été dès le temps de Constantin, est plus éloigné de Jésus que de Zoroastre ou de Brama. Jésus est devenu le prétexte de nos doctrines fantasques, de nos persécutions, de nos crimes religieux ; mais il n’en a pas été l’auteur. Plusieurs ont regardé Jésus comme un médecin juif, que des charlatans étrangers ont faille chef de leur pharmacie. Ces charlatans ont voulu faire croire qu’ils avaient pris chez lui leurs poisons. Je me flatte de démontrer que Jésus n’était pas chrétien, qu’au contraire il aurait condamné avec horreur notre christianisme, tel que Rome l’a fait ; christianisme absurde et barbare, qui avilit l’âme, et qui fait mourir le corps de faim en attendant qu’un jour l’un et l’autre soient brûlés de compagnie pendant l’éternité ; christianisme qui, pour enrichir des moines et des gens qui ne valent pas mieux, a réduit les peuples à la mendicité, et par conséquent à la nécessité du crime ; christianisme qui expose les rois au premier dévot assassin qui veut les immoler à la sainte Église ; christianisme qui a dépouillé l’Europe, pour entasser dans la maison de la madone de Lorette, venue de Jérusalem à la Marche d’Ancône, par les airs, plus de trésors qu’il n’en faudrait pour nourrir les pauvres de vingt royaumes ; christianisme enfin qui pouvait consoler la terre, et qui l’a cou-

  1. Les historiens en comptent onze mille. Mais M. de Voltaire ne parle ici que des victimes immolées à la superstition ; il ne compte point les crimes, les assassinats juridiques que la politique et la vengeance firent commettre à la digne épouse de Philippe II. (K.)