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CHAPITRE VI.

wel, qui a vécu trente ans parmi eux, nous a donné les estampes de leurs hiéroglyphes. La vertu y est représentée montée sur un dragon. Elle a dix bras pour résister aux dix principaux vices. C’est surtout cette figure que les missionnaires papistes n’ont pas manqué de prendre pour le diable, tant ces messieurs étaient équitables et savants.

L’évêque Warburton nous assure que le jésuite Xavier, dans une de ses lettres, prétend qu’un brame de ses amis lui dit en confidence : « Il est vrai qu’il y a un Dieu, et nos pagodes ne sont que des représentations des mauvais génies ; mais gardez-vous bien de le dire au peuple. La politique veut qu’on l’entretienne dans l’ignorance de toute divinité. » Xavier aurait eu bien peu de bon sens et beaucoup d’effronterie en écrivant une si énorme sottise. Je n’examine point comment il avait pu, en peu de temps, se rendre capable de converser familièrement dans la langue du Malabar, et avoir pour intime ami un brame, qui devait se défier de lui ; mais il n’est pas possible que ce brame se soit décrié lui-même si indignement. Il est encore moins possible qu’il ait dit que, par politique, il faut rendre le peuple athée. C’est précisément tout le contraire : François Xavier, l’apôtre des Indes, aurait très-mal entendu, ou aurait menti. Mais c’est Warburton qui a très-mal lu, et qui a mal rapporté ce qu’il a lu, ce qui lui arrive très-souvent.

Voici mot pour mot ce que dit Xavier dans le recueil de ses Lettres choisies, imprimé en français à Varsovie, chez Veidmann, en 1739, pages 36 et 37 :

« Un brachmane savant… me dit, comme un grand secret, premièrement, que les docteurs de cette université faisaient jurer leurs écoliers de ne jamais révéler leurs mystères, qu’il me les découvrirait pourtant en faveur de l’amitié qu’il avait pour moi. Un de ces mystères fut qu’il n’y a qu’un Dieu, créateur du ciel et de la terre, lequel il faut adorer : car les idoles ne sont que les représentations des démons ; que les brachmanes ont de certains mémoires comme des monuments de leur écriture sainte, où ils tiennent que les lois divines sont contenues, et que les maîtres se servent, en enseignant, d’une langue inconnue au vulgaire, comme est parmi nous la langue latine. Il m’expliqua fort clairement ces divins préceptes l’un après l’autre, qu’il serait long et hors de propos de vous écrire. Les sages célèbrent le jour du dimanche comme une fête, et font ce jour-là, de temps en temps, cette prière en leur langue : Mon Dieu, je vous adore, et j’implore votre secours pour jamais, qu’ils répètent souvent à voix basse,