Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
138
138
CHAPITRE V.

vent un livre qu’ils prétendent écrit plus de trois mille ans avant notre ère vulgaire dans la langue du Hanscrit, que quelques-uns entendent encore. Personne ne doute, au moins chez les brachmanes modernes, que ce livre, si sacré pour eux, ne soit très-antérieur au Veidam, si célèbre dans toute l’antiquité. Le livre dont je parle s’appelle le Shasta. Il fut la règle des Indiens pendant quinze cents ans, jusqu’au temps où les brachmanes, étant devenus plus puissants, donnèrent pour règle le Veidam, nouveau livre fondé sur l’ancien Shasta : de sorte que ces peuples ont eu une première et une seconde loi[1].

La première loi des Indiens semble être l’origine de la théologie de plusieurs autres nations.

C’est dans le Shasta qu’on trouve un Être suprême qui a débrouillé le chaos et qui a formé des créatures célestes. Ces demi-dieux se sont révoltés contre le grand Dieu, qui les a bannis de son séjour pendant un grand nombre de siècles. Et il est à remarquer que la moitié des demi-dieux resta fidèle à son souverain.

C’est visiblement ce qui a donné lieu depuis, chez les Grecs, à la fable des géants qui combattirent contre Zeus, le maître des dieux. Hercule et d’autres dieux prirent le parti de Zeus. Les géants vaincus furent enchaînés.

Observons ici que les Juifs, qui ne formèrent un corps de peuple que plusieurs siècles après les Indiens, n’eurent aucune notion de cette théologie mystique ; on n’en trouve nulle trace dans la Genèse. Ce ne fut que dans le premier siècle de notre ère qu’un faussaire très-maladroit, soit juif, soit demi-juif et demi-chrétien, ayant appris quelque chose de la religion des brachmanes, fabriqua un écrit qu’il osa attribuer à Énoch : c’est dans le livre d’Énoch qu’il est parlé de la rébellion de quelques puissances célestes que ce faussaire appelle anges. Semiazar était, dit-il, à leur tête. Araciel et Chobabiel étaient ses lieutenants généraux[2]. Les anges fidèles furent Michel, Raphaël, Gabriel, Uriel. C’est enfin sur ce fatras du livre prétendu d’Énoch que Milton a bâti son singulier poëme du Paradis perdu. Voilà comme toutes les fables ont fait le tour du monde.

  1. Voyez le livre de M. Holwell, qui a demeuré trente ans avec les brames. (Note de Voltaire.)

    — L’ouvrage d’Holwell (voyez XV, 325) a été traduit en français sous ce titre : Événements historiques intéressants, relatifs aux provinces de Bengale et à l’empire de l’Indostan, etc., 1768, deux parties in-8o. (B.)

  2. Voyez les noms des autres dans la note, tome XVII, page 249.