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DE LA PAIX

avait écrit aux deux partis « qu’il était houleux de se quereller pour un sujet si frivole ». Plus la dispute était absurde, plus elle devint sanglante : une diphthongue de plus ou de moins ravagea l’empire romain trois cents années[1].

XX.

Dès le ive siècle, l’Église d’Orient commence à se séparer de celle d’Occident : tous les évêques orientaux, assemblés à Philippopoli en 342, excommunient l’évêque de Rome Jules. Et la haine qui a été depuis irréconciliable entre les prêtres chrétiens qui parlent grec, et les prêtres chrétiens qui parlent latin, commence à éclater. On oppose partout concile à concile, et le Saint-Esprit, qui les inspire, ne peut empêcher que quelquefois les Pères ne se battent à coups de bâton. Le sang coule de tous côtés sous les enfants de Constantin, qui étaient des monstres de cruauté comme leur père. L’empereur Julien, le philosophe, ne peut arrêter les fureurs des chrétiens. On devrait avoir continuellement sous les yeux la 52e lettre de ce grand empereur.

« Sous mon prédécesseur, plusieurs chrétiens ont été chassés, emprisonnés, persécutés ; on a égorgé une grande multitude de ceux qu’on nomme hérétiques, à Samosate en Paphlagonie, en Bithynie, en Galatie, en plusieurs autres provinces ; on a pillé, on a ruiné des villes. Sous mon règne, au contraire, les bannis ont été rappelés, les biens confisqués ont été rendus. Cependant ils sont venus à ce point de fureur qu’ils se plaignent de ce qu’il ne leur est plus permis d’être cruels, et de se tyranniser les uns les autres. »

XXI.

On sait assez que l’impitoyable Théodose[2], soldat espagnol parvenu à l’empire, cruel comme Sylla et dissimulé comme Tibère, feignit d’abord de pardonner au peuple de Thessalonique, ville où il avait reçu le baptême. Ce peuple était coupable d’une sédition arrivée en 390 dans les jeux du cirque. Mais au bout de six mois, après avoir promis de tout oublier, il invita le peuple à de nouveaux jeux ; et, dès que le cirque fut rempli, il le fit entourer de soldats, avec ordre de massacrer tous les spectateurs, sans pardonner à un seul. On ne croit pas qu’il y ait jamais eu sur la terre une action si abominable. Cette horreur de sang-froid.

  1. Voyez tome XI, page 149.
  2. Surnommé le Grand, ainsi que Constantin ; voyez tome XX, page 511.