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romaine (lesquels en rient eux-mêmes), que l’évêque Léon III donna l’empire d’Occident à Charlemagne[1], cela est aussi absurde que si on disait que le patriarche de Constantinople donna l’empire d’Orient à Mahomet II.

D’un autre côté, répéter après tant d’autres que Pépin l’usurpateur, et Charlemagne le dévastateur, donnèrent aux évêques romains l’exarchat de Ravenne, c’est avancer une fausseté évidente. Charlemagne n’était pas si honnête. Il garda l’exarchat pour lui, ainsi que Rome. Il nomme Rome et Ravenne, dans son testament, comme ses villes principales. Il est constant qu’il confia le gouvernement de Ravenne et de la Pentapole à un autre Léon, archevêque de Ravenne, dont nous avons encore la lettre, qui porte en termes exprès : Hæ civitates a Carolo ipso una cum universa Pentapoli mihi fuerunt concessæ.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit ici que de démontrer que c’est une chose monstrueuse dans les principes de notre religion, comme dans ceux de la politique et dans ceux de la raison, qu’un prêtre donne l’empire, et qu’il ait des souverainetés dans l’empire.

Ou il faut absolument renoncer au christianisme, ou il faut l’observer. Ni un jésuite, avec ses distinctions, ni le diable n’y peut trouver de milieu.

Il se forme dans la Galilée une religion toute fondée sur la pauvreté, sur l’égalité, sur la haine contre les richesses et les riches ; une religion dans laquelle il est dit[2] qu’il est aussi impossible qu’un riche entre dans le royaume des cieux qu’il est impossible qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille ; où l’on dit que le mauvais riche[3] est damné uniquement pour avoir été riche ; où Ananias et Saphira[4] sont punis de mort subite pour avoir gardé de quoi vivre ; où il est ordonné aux disciples[5] de ne jamais faire de provisions pour le lendemain ; où Jésus-Christ, fils de Dieu, Dieu lui-même, prononce ces terribles oracles contre l’ambition et l’avarice : « Je ne suis pas venu pour être servi[6], mais pour servir. Il n’y aura jamais[7] parmi vous ni premier ni dernier. Que celui de vous qui voudra s’agrandir soit abaissé. Que celui de vous qui voudra être le premier soit le dernier. »

La vie des premiers disciples est conforme à ces préceptes ; saint Paul travaille de ses mains, saint Pierre gagne sa vie. Quel rapport y a-t-il de cette institution avec le domaine de Rome, de

  1. Voyez le chapitre xxi du Pyrrhonisme de l’histoire.
  2. Matthieu, xix, 24.
  3. Luc, xvi, 21-24.
  4. Actes, v.
  5. Matt., x, 9, 10.
  6. Ibid., xx, 28.
  7. Ibid., xx, 26, 27.