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554 LE DINER DU COMTE

qui nous ont abrutis. On ne croit plus aux sorciers, on n'exorcise plus les diables; et quoiqu'il soit dit que votre Jésus ait envoyé ses apôtres précisément pour chasser les diables S aucun prêtre parmi nous n'est ni assez fou ni assez sot pour se vanter de les chasser; les reliques de saint François sont devenues ridicules, et celles de saint Ignace, peut-être, seront un jour traînées dans la boue avec les jésuites eux-mêmes. On laisse, à la vérité, au pape le duché de Ferrare, qu'il a usurpé; les domaines que César Borgia ravit par le fer et par le poison, et qui sont retournés à l'Église de Rome, pour laquelle il ne travaillait pas ; on laisse Rome même aux papes, parce qu'on ne veut pas que l'empereur s'en empare; on lui veut bien payer encore des annales, quoique ce soit un ridicule honteux et une simonie évidente; on ne veut pas faire d'éclat pour un subside si modique. Les hommes, sub- jugués par la coutume, ne rompent pas tout d'un coup un mauvais marché fait depuis près de trois siècles. Mais que les papes aient l'insolence d'envoyer comme autrefois des légats a latere "^ pour imposer des décimes sur les peuples, pour excom- munier les rois, pour mettre leurs États en interdit, pour donner leurs couronnes à d'autres, vous verrez comme on recevra un légat a latere, : je ne désespérerais pas que le parlement d'Aix ou de Paris ne le fît pendre.

LE COMTE.

Vous voyez combien de préjugés honteux nous avons secoués. Jetez les yeux à présent sur la partie la plus opulente de la Suisse, sur les sept Provinces-Unies, aussi puissantes que l'Espagne, sur la Grande-Bretagne, dont les forces maritimes tiendraient seules, avec avantage, contre les forces réunies de toutes les autres na- tions ; regardez tout le nord de l'Allemagne, et la Scandinavie, ces pépinières intarissables de guerriers, tous ces peuples nous ont passés de bien loin dans les progrès de la raison. Le sang de chaque tête de l'hydre qu'ils ont abattue a fertilisé leurs campa- gnes ; l'abolition des moines a peuplé et enrichi leurs États ; on peut certainement faire en France ce qu'on a fait ailleurs; la France en sera plus opulente et plus peuplée.

l'abbé.

Eh bien! quand vous auriez secoué en France la vermine des moines, quand on ne verrait plus de ridicules reliques, quand

��1. Matthieu, chap. x, v. 1 ; Marc, chap. m, v. 13 j Luc, chap. ix, v. 1. {Kote de Voltaire.)

2, Sur ce mot, voyez la note, tome XI, page 362.

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