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DE BOULAINVILLIERS.


le comte.

Vous êtes un goguenard ; tirez donc de l’enfer, par vos saintes prières, Henri IV, qui mourut sans sacrement comme un païen, et mettez-le dans le ciel avec Ravaillac le bien confessé ; mais mon embarras est de savoir comment ils vivront ensemble, et quelle mine ils se feront.

la comtesse de boulainvilliers.

Le dîner se refroidit ; voilà M. Fréret^^1 qui arrive, mettons-nous à table, vous tirerez après de l’enfer qui vous voudrez.


DEUXIÈME ENTRETIEN.
PENDANT LE DÎNER.
l’abbé.

Ah ! madame, vous mangez gras un vendredi sans avoir la permission expresse de monseigneur l’archevêque ou la mienne ! Ne savez-vous pas que c’est pécher contre l’Église ? Il n’était pas permis chez les Juifs de manger du lièvre, parce qu’alors il ruminait, et qu’il n’avait pas le pied fendu^^2 ; c’était un crime horrible de manger de l’ixion et du griffon^^3.

la comtesse.

Vous plaisantez toujours, monsieur l’abbé ; dites-moi de grâce ce que c’est qu’un ixion.

l’abbé.

Je n’en sais rien, madame ; mais je sais que quiconque mange le vendredi une aile de poulet sans la permission de son évêque, au lieu de se gorger de saumon et d’esturgeon, pèche mortellement ; que son âme sera brûlée en attendant son corps, et que, quand son corps la viendra retrouver, il seront tous deux brûlés éternellement, sans pouvoir être consumés, comme je disais tout à l’heure.

la comtesse.

Rien n’est assurément plus judicieux ni plus équitable ; il y a plaisir à vivre dans une religion si sage. Voudriez-vous une aile de ce perdreau ?

le comte.

Prenez, croyez-moi ; Jésus-Christ a dit : Mangez ce qu’on

1. Voyez ci-dessus, page 506.

2. Deutéronome, chap. xiv, v. 7. (Note de Voltaire.)

3. Ibid., v. 12 et 13. (Id.)