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SUR LES FRANÇAIS. 507

leur faux prophète débiter les feuilles de son Koran, et qui les virent après sa mort rédigées solennellement par le calife Abu- beker, triompheraient de nous ; ils nous diraient : « Nous n'avons qu'un Alcoran, et vous avez eu cinquante Évangiles ; nous avons précieusement conservé l'original, et vous avez choisi au bout de quelques siècles quatre Évangiles dont vous n'avez jamais connu les dates. Vous avez fait votre religion pièce à pièce; la nôtre a ét(> faite d'un seul trait, comme la création. Vous avez cent fois varié, et nous n'avons changé jamais. »

Grâces au ciel nous ne sommes pas réduits à ces termes fu- nestes. Où en serions-nous, si ce que Fréret avance était vrai ? Nous avons assez de preuves de l'antiquité des quatre Évangiles : saint Irénée dit expressément qu'il n'en faut que quatre.

J'avoue que Fréret réduit en poudre les pitoyables raisonne- ments d'Abbadie. Cet Abbadie prétend que les premiers chrétiens mouraient pour les Évangiles, et qu'on ne meurt que pour la vérité. Mais cet Abbadie reconnaît que les premiers chrétiens avaient fabriqué de faux Évangiles : donc, selon Abbadie même, les premiers chrétiens mouraient pour le mensonge. Abbadie devait considérer deux choses essentielles : premièrement, qu'il n'est écrit nulle part que les premiers martyrs aient été interrogés par les magistrats sur les Évangiles ; secondement, qu'il y a des mar- tyrs dans toutes les communions. Mais si Fréret terrasse Abbadie, il est renversé lui-même par les miracles que nos quatre saints Évangiles véritables ont opérés. Il nie les miracles, mais on lui oppose une nuée de témoins; il nie les témoins, et alors il ne faut que le plaindre.

Je conviens avec lui qu'on s'est servi souvent de fraudes pieuses ; je conviens qu'il est dit, dans VAppendix du premier con- cile de Nicée, que, pour distinguer tous les livres canoniques des faux, on les mit pêle-mêle sur une grande table, qu'on pria le. Saint-Esprit de faire tomber à bas tous les apocryphes ; aussitôt ils toml)èrent, et il ne resta que les véritables. J'avoue enfin que l'Éghse a été inondée de fausses légendes. Mais, de ce qu'il y a eu des mensonges et de la mauvaise foi, s'ensuit-il qu'il n'y ait eu ni vérité ni candeur? Certainement Fréret va trop loin: il ren- verse tout l'édifice, au lieu de le réparer ; il conduit, comme tant d'autres, le lecteur à l'adoration d'un seul Dieu sans la médiation du Christ. Mais, du moins, son livre respire une modération qui lui ferait presque pardonner ses erreurs; il ne prêche que l'in- dulgence et la tolérance; il ne dit point d'injures cruelles aux chrétiens comme milord Bolingbrokc ; il ne se moque point d'eux

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