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CHAPITRE XXI.

foule de théologiens tous hérétiques ; ils s’appuient enfin de la décision de Newton lui-même. Mais que peuvent tous ces cris de l’hérésie et de l’infidélité contre un concile œcuménique ?

De plus, ils se trompent en croyant que Newton attribue le Pentateuque à Esdras : Newton croit que Samuel en fut l’auteur, ou plutôt le rédacteur.

C’est encore un grand blasphème de dire avec quelques savants que Moïse, tel qu’on nous le dépeint, n’a jamais existé ; que toute sa vie est fabuleuse depuis son berceau jusqu’à sa mort ; que ce n’est qu’une imitation de l’ancienne fable arabe de Bacchus, transmise aux Grecs et ensuite adoptée par les Hébreux. Bacchus, disent-ils, avait été sauvé des eaux ; Bacchus avait passé la mer Rouge à pied sec ; une colonne de feu conduisait son armée ; il écrivit ses lois sur deux tables de pierre ; des rayons sortaient de sa tête. Ces conformités leur font soupçonner que les Juifs attribuèrent cette ancienne tradition de Bacchus à leur Moïse. Les écrits des Grecs étaient connus dans toute l’Asie, et les écrits des Juifs étaient soigneusement cachés aux autres nations. Il est vraisemblable, selon ces téméraires, que la métamorphose d’Édith, femme de Loth, en statue de sel, est prise de la fable d’Eurydice ; que Samson est la copie d’Hercule, et le sacrifice de la fille de Jephté imité de celui d’Iphigénie. Ils prétendent que le peuple grossier qui n’a jamais inventé aucun art doit avoir tout puisé chez les peuples inventeurs.

Il est aisé de ruiner tous ces systèmes en montrant seulement que les auteurs grecs, excepté Homère, sont postérieurs à Esdras, qui rassembla et restaura les livres canoniques.

Dès que ces livres sont restaurés du temps de Cyrus et d’Artaxerce, ils ont précédé Hérodote, le premier historien des Grecs. Non-seulement ils sont antérieurs à Hérodote, mais le Pentateuque est beaucoup plus ancien qu’Homère.

Si on demande pourquoi ces livres si anciens et si divins ont été inconnus aux nations jusqu’au temps où les premiers chrétiens répandirent la traduction faite en grec sous Ptolémée Philadelphe, je répondrai qu’il ne nous appartient pas d’interroger la Providence. Elle a voulu que ces anciens monuments, reconnus pour authentiques, annonçassent des merveilles, et que ces merveilles fussent ignorées de tous les peuples jusqu’au temps où une nouvelle lumière vînt se manifester. Le christianisme a rendu témoignage à la loi mosaïque, au-dessus de laquelle il s’est élevé et par laquelle il fut prédit. Soumettons-nous, prions, adorons, et ne disputons pas.