Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
419
DIATRIBES DE L’ABBÉ BAZIN.

pousse la hardiesse de son système jusqu’à dire que « des animaux qui n’avaient point de sens engendrèrent des animaux intelligents ».

Il n’est pas étonnant, après cela, qu’il reproche aux Égyptiens d’avoir consacré des plantes. Pour moi, je crois que ce culte des plantes utiles à l’homme n’était pas d’abord si ridicule que Sanchoniathon se l’imagine. Thaut, qui gouvernait une partie de l’Égypte, et qui avait établi la théocratie huit cents ans avant l’écrivain phénicien, était à la fois prêtre et roi. Il était impossible qu’il adorât un ognon comme le maître du monde, et il était impossible qu’il présentât des offrandes d’ognons à un ognon : cela eût été trop absurde, trop contradictoire ; mais il est très-naturel qu’on remerciât les dieux du soin qu’ils prenaient de sustenter notre vie, qu’on leur consacrât longtemps les plantes les plus délicieuses de l’Égypte, et qu’on révérât dans ces plantes les bienfaits des dieux. C’est ce qu’on pratiquait de temps immémorial dans la Chine et dans les Indes.

J’ai déjà dit ailleurs[1] qu’il y a une grande différence entre un ognon consacré et un ognon dieu. Les Égyptiens, après Thaut, consacrèrent des animaux ; mais certainement ils ne croyaient pas que ces animaux eussent formé le ciel et la terre. Le serpent d’airain élevé par Moïse était consacré ; mais on ne le regardait pas comme une divinité. Le térébinthe d’Abraham, le chêne de Mambrès, étaient consacrés, et on fit des sacrifices dans la place même où avaient été ces arbres jusqu’au temps de Constantin ; mais ils n’étaient point des dieux. Les chérubins de l’arche étaient sacrés, et n’étaient pas adorés.

Les prêtres égyptiens, au milieu de toutes leurs superstitions, reconnurent un maître souverain de la nature : ils l’appelaient Knef ou Knufi ; ils le représentaient par un globe. Les Grecs traduisirent le mot Knef par celui de Demiourgos, artisan suprême, faiseur du monde.

Ce que je crois très-vraisemblable et très-vrai, c’est que les premiers législateurs étaient des hommes d’un grand sens. Il faut deux choses pour instituer un gouvernement : un courage et un bon sens supérieurs à ceux des autres hommes. Ils imaginent rarement des choses absurdes et ridicules, qui les exposeraient au mépris et à l’insulte. Mais qu’est-il arrivé chez presque toutes les nations de la terre, et surtout chez les Égyptiens ? Le sage commence par consacrer à Dieu le bœuf qui laboure la terre ;

  1. Voyez tome XI, page 67.