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CHAPITRE XXI.

Cependant l’antiquité le croyait, et la magnifique description qu’en fait Ovide est une preuve que cette idée était bien générale : car, de tous les récits qu’on trouve dans les Métamorphoses d’Ovide, il n’en est aucun qui soit de son invention. On prétend même que les Indiens avaient déjà parlé d’un déluge universel avant celui de Deucalion. Plusieurs brachmanes croyaient, dit-on, que la terre avait essuyé trois déluges.

Il n’en est rien dit dans l’Ézour-Veidam, ni dans le Cormo-Veidam, que j’ai lus avec une grande attention ; mais plusieurs missionnaires, envoyés dans l’Inde, s’accordent à croire que les brames reconnaissent plusieurs déluges. Il est vrai que, chez les Grecs, on ne connaissait que les deux déluges particuliers d’Ogygès et de Deucalion. Le seul auteur grec connu qui ait parlé d’un déluge universel est Apollodore, qui n’est antérieur à notre ère que d’environ cent quarante ans. Ni Homère, ni Hésiode, ni Hérodote, n’ont fait mention du déluge de Noé ; et le nom de Noé ne se trouve chez aucun ancien auteur profane.

La mention de ce déluge universel, faite en détail et avec toutes ses circonstances, n’est que dans nos livres sacrés. Quoique Vossius et plusieurs autres savants aient prétendu que cette inondation n’a pu être universelle, il ne nous est pas permis d’en douter. Je ne rapporte la Cosmogonie de Sanchoniathon que comme un ouvrage profane. L’auteur de la Genèse était inspiré, et Sanchoniathon ne l’était pas. L’ouvrage de ce Phénicien n’est qu’un monument précieux des anciennes erreurs des hommes.

C’est lui qui nous apprend qu’un des premiers cultes établis sur la terre fut celui des productions de la terre même ; et qu’ainsi les oignons étaient consacrés en Égypte bien longtemps avant les siècles auxquels nous rapportons l’établissement de cette coutume. Voici les paroles de Sanchoniathon : « Ces anciens hommes consacrèrent des plantes que la terre avait produites ; ils les crurent divines : eux et leur postérité, et leurs ancêtres, révérèrent les choses qui les faisaient vivre ; ils leur offrirent leur boire et leur manger. Ces inventions et ce culte étaient conformes à leur faiblesse et à la pusillanimité de leur esprit. »

Ce passage si curieux prouve invinciblement que les Égyptiens adoraient leurs ognons longtemps avant Moïse ; et il est étonnant qu’aucun livre hébraïque ne reproche ce culte aux Égyptiens. Mais voici ce qu’il faut considérer. Sanchoniathon ne parle point expressément d’un Dieu dans sa Cosmogonie : tout, chez lui, semble avoir son origine dans le chaos : et ce chaos est débrouillé par l’esprit vivifiant qui se mêle avec les principes de la nature. Il