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CHAPITRE II.

telle infamie ! Vraiment il ferait beau voir nos princesses, nos duchesses, madame la chancelière, madame la première présidente, et toutes les dames de Paris, donner dans l’église Notre-Dame leurs faveurs pour un écu au premier batelier, au premier fiacre qui se sentirait du goût pour cette auguste cérémonie !

Je sais que les mœurs asiatiques diffèrent des nôtres, et je le sais mieux que toi, puisque j’ai accompagné mon oncle en Asie ; mais la différence en ce point est que les Orientaux ont toujours été plus sévères que nous. Les femmes, en Orient, ont toujours été renfermées, ou du moins elles ne sont jamais sorties de la maison qu’avec un voile. Plus les passions sont vives dans ces climats, plus on a gêné les femmes. C’est pour les garder qu’on a imaginé les eunuques. La jalousie inventa l’art de mutiler les hommes pour s’assurer de la fidélité des femmes et de l’innocence des filles. Les eunuques étaient déjà très-communs dans le temps où les Juifs étaient en république. On voit que Samuel[1], voulant conserver son autorité et détourner les Juifs de prendre un roi, leur dit que ce roi aura des eunuques à son service.

Peut-on croire que dans Babylone, dans la ville la mieux policée de l’Orient, des hommes si jaloux de leurs femmes les aient envoyées toutes se prostituer[2] dans un temple aux plus vils étrangers ? Que tous les époux et tous les pères aient étouffé ainsi l’honneur et la jalousie ? Que toutes les femmes et toutes les filles aient foulé aux pieds la pudeur si naturelle à leur sexe ? Le faiseur de contes Hérodote a pu amuser les Grecs de cette extravagance ; mais nul homme sensé n’a dû le croire.

Le détracteur de mon oncle et du beau sexe veut que la chose soit vraie, et sa grande raison, c’est que quelquefois les Gaulois ou Welches ont immolé des hommes (et probablement des captifs) à leur vilain dieu Teutatès. Mais de ce que des barbares ont fait des sacrifices de sang humain ; de ce que les Juifs immolèrent au Seigneur trente-deux pucelles[3], des trente-deux mille pucelles trouvées dans le camp des Madianites avec soixante et un mille ânes ; et de ce qu’enfin, dans nos derniers temps, nous avons immolé tant de Juifs dans nos auto-da-fé, ou plutôt dans nos autos-de-fé, à Lisbonne, à Goa, à Madrid ; s’ensuit-il que toutes les belles Babyloniennes couchassent avec des palefreniers étrangers dans la cathédrale de Babylone ? La religion de Zoroastre

  1. Rois, viii, 15.
  2. Voyez tome XVII, page 512.
  3. Nombres, xxi, 40.