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SUR LA SUPERSTITION. 33o

jamais avoir d'idée pourrait-elle tous être nécessaire? Que Dieu, qui donne tout, ait donné à un homme plus de lumières, plus de talents qu'à un autre, cela se Yoit tous les jours. Qu'il ait choisi un homme pour s'unir de plus près à lui qu'aux autres hommes ; qu'il en ait fait le modèle de la raison et de la vertu, cela ne révolte point notre bon sens. Personne ne doit nier qu'il soit possible à Dieu de verser ses plus beaux dons sur un de ses ouvrages. On peut donc croire en Jésus, qui a enseigné la vertu et qui l'a pratiquée ; mais craignons qu'en voulant aller trop au delà nous ne renversions tout l'édifice.

Le superstitieux verse du poison sur les aliments les plus salutaires ; il est son propre ennemi et celui des hommes. Il se croira Tobjet des vengeances éternelles s'il a mangé de la viande un certain jour; il pense qu'une longue robe grise, avec un capuce pointu et une grande barbe, est beaucoup plus agréable à Dieu qu'un visage rasé et une tête qui porte ses cheveux; il s'imagine que son salut est attaché à des formules latines qu'il n'entend point. Il a élevé sa fille dans ces principes : elle s'enterre dans un cachot dès qu'elle est nubile; elle trahit la postérité pour plaire à Dieu, plus coupable envers le genre humain que l'Indienne qui se précipite dans le bûcher de son mari après lui avoir donné des enfants.

Anachorètes des parties méridionales de l'Europe, condamnés par vous-mêmes à une vie aussi abjecte qu'affreuse, ne vous comparez pas aux pénitents des bords du Gange : vos austérités n'approchent pas de leurs supplices volontaires ; mais ne pensez pas que Dieu approuve dans vous ce que vous avouez qu'il con- damne dans eux.

Le superstitieux est son propre bourreau : il est encore celui de quiconque ne pense pas comme lui. La délation la plus in- fâme, il l'appelle correction fraternelle; il accuse la naïve inno- cence qui n'est pas sur ses gardes, et qui, dans la simplicité de son cœur, n'a pas mis le sceau sur ses lèvres. Il la dénonce à ces tyrans des âmes, qui rient en même temps de l'accusé et de l'ac- cusateur.

Enfin le superstitieux devient fanatique, et c'est alors que son zèle est capable de tous les crimes au nom du Seigneur.

Nous ne sommes plus, il est vrai, dans ces temps abominables où les parents et les amis s'égorgeaient, où cent batailles rangées couvraient la terre de cadavres pour quelques arguments de l'école ; mais dès cendres de ce vaste incendie il renaît tous les jours quelques étincelles : les princes ne marchent plus aux com-

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