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332 ^ HOMÉLIE

celui qui le premier défendit toute communication avec ceux qui n'étaient pas de son avis sonna le tocsin des guerres civiles dans toute la terre.

Je crois ce qui paraît impossible à ma raison, c'est-à-dire je crois ce que je ne crois pas : donc je dois haïr ceux qui se van- tent de croire une absurdité contraire à la mienne. Telle est la logique des superstitieux, ou plutôt telle est leur exécrable dé- mence. Adorer l'Être suprême, l'aimer, le servir, être utile aux hommes, ce n'est rien : c'est même, selon quelques-uns, une fausse vertu qu'ils appellent un péché splendide^. Ainsi, depuis qu'on se fit un devoir sacré de disputer sur ce qu'on ne peut entendre ; depuis qu'on plaça la vertu dans la prononciation de quelques paroles inexplicables que chacun voulut expliquer, les pays chrétiens furent un théâtre de discorde et de carnage.

Vous me direz qu'on doit imputer cette peste universelle à la rage de l'ambition plutôt qu'à celle du fanatisme. Je vous répon- drai qu'on en est redevable à l'une et à l'autre. La soif de la do- mination s'est abreuvée du sang des imbéciles. Je n'aspire point à guérir les hommes puissants de cette passion furieuse d'asservir les esprits : c'est une maladie incurable. Tout homme voudrait que les autres s'empressassent à le servir, et, pour être servi mieux, il leur fera croire, s'il peut, que leur devoir et leur bonheur con- sistent à être ses esclaves. Allez trouver un homme qui jouit de quinze à seize millions de revenu, et qui a dans l'Europe quatre ou cinq cent mille sujets dispersés, lesquels ne lui coûtent rien, sans compter ses gardes et sa milice ; remontrez-lui que le Christ, dont il se dit le vicaire et l'imitateur, a vécu dans la pauvreté et dans l'humilité : il vous répond que les temps sont changés ; et, pour vous le prouver, il vous condamne à périr dans les flammes. Vous n'avez corrigé ni cet homme, ni un cardinal de Lorraine, possesseur de sept évêchés à la fois. Que fait-on alors ? On s'adresse aux peuples, on leur parle, et, tout abrutis qu'ils sont, ils écou- tent, ils ouvrent à demi les yeux; ils secouent une partie du joug le plus avilissant qu'on ait jamais porté ; ils se défont de quelques erreurs, ils reprennent un peu de leur liberté, cet apa- nage ou plutôt cette essence de l'homme, dont on les avait dé- pouillés. Si on ne peut guérir les puissants de l'ambition, on peut donc guérir les peuples de la superstition ; on peut donc, en parlant, en écrivant, rendre les hommes plus éclairés et meilleurs.

"1. Cette" expression est de saint Augustin; voyez tome XVIII, page 74; XXV, 434 ; et page 91 du présent volume.

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