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SUR L’ATHÉISME.

rapport de ce que nous sommes aujourd’hui avec ce que nous étions dans le sein de nos mères ; quel rapport pourrions-nous avoir dans le sépulcre avec notre existence présente ?

Les Juifs, que vous dites avoir été conduits par Dieu même, ne connurent jamais cette autre vie. Vous dites que Dieu leur donna des lois, et dans ces lois il ne se trouve pas un seul mot qui annonce les peines et les récompenses après la mort. Cessez donc de présenter une consolation chimérique à des calamités trop véritables.

Mes frères, ne répondons point encore en chrétiens à ces objections douloureuses ; il n’est pas encore temps. Commençons à les réfuter avec les sages, avant de les confondre par le secours de ceux qui sont au-dessus des sages mêmes.

Nous ignorons ce qui pense en nous, et par conséquent nous ne pouvons savoir si cet être inconnu ne survivra pas à notre corps. Il se peut physiquement qu’il y ait en nous une monade indestructible, une flamme cachée, une particule du feu divin, qui subsiste éternellement sous des apparences diverses. Je ne dirai pas que cela soit démontré ; mais, sans vouloir tromper les hommes, on peut dire que nous avons autant de raison de croire que de nier l’immortalité de l’être qui pense. Si les Juifs ne l’ont point connue autrefois, ils l’admettent aujourd’hui. Toutes les nations policées sont d’accord sur ce point. Cette opinion si ancienne et si générale est la seule peut-être qui puisse justifier la Providence. Il faut reconnaître un Dieu rémunérateur et vengeur, ou n’en point reconnaître du tout. Il ne paraît pas qu’il y ait de milieu : ou il n’y a point de Dieu, ou Dieu est juste. Nous avons une idée de la justice, nous, dont l’intelligence est si bornée ; comment cette justice ne serait-elle pas dans l’intelligence suprême ? Nous sentons combien il serait absurde de dire que Dieu est ignorant, qu’il est faible, qu’il est menteur : oserons-nous dire qu’il est cruel ? Il vaudrait mieux s’en tenir à la nécessité fatale des choses, il vaudrait mieux n’admettre qu’un destin invincible que d’admettre un Dieu qui aurait fait une seule créature pour la rendre malheureuse.

On me dit que la justice de Dieu n’est pas la nôtre. J’aimerais autant qu’on me dît que l’égalité de deux fois deux et quatre n’est pas la même pour Dieu et pour moi. Ce qui est vrai l’est à mes yeux comme aux siens. Toutes les propositions mathématiques sont démontrées pour l’être fini comme pour l’être infini. Il n’y a pas en cela deux différentes sortes de vrai. La seule différence est probablement que l’intelligence suprême comprend