Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/328

Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
HOMÉLIE

puisqu’il existe. — Eh bien, leur répondrai-je, tout ce qu’on pourra déduire de votre supposition, c’est que, pour former le monde, il était nécessaire que l’intelligence suprême fît un choix : ce choix est fait ; nous sentons, nous pensons en vertu des rapports que Dieu a mis entre nos perceptions et nos organes. Examinez, d’un côté, des nerfs et des fibres ; de l’autre, des pensées sublimes, et avouez qu’un Être suprême peut seul allier des choses si dissemblables.

Quel est cet Être ? Existe-t-il dans l’immensité ? L’espace est-il un de ses attributs ? Est-il dans un lieu, ou en tous lieux, ou hors d’un lieu ? Puisse-t-il me préserver à jamais d’entrer dans ces subtilités métaphysiques ! J’abuserais trop de ma faible raison, si je cherchais à comprendre pleinement l’Être qui, par sa nature et par la mienne, doit m’être incompréhensible. Je ressemblerais à un insensé qui, sachant qu’une maison a été bâtie par un architecte, croirait que cette seule notion suffit pour connaître à fond sa personne.

Bornons donc notre insatiable et inutile curiosité ; attachons-nous à notre véritable intérêt. L’artisan suprême qui a fait le monde et nous est-il notre maître ? Est-il bienfaisant ? Lui devons-nous de la reconnaissance ?

Il est notre maître sans doute : nous sentons à tous moments un pouvoir aussi invisible qu’irrésistible. Il est notre bienfaiteur, puisque nous vivons. Notre vie est un bienfait, puisque nous aimons tous la vie, quelque misérable qu’elle puisse devenir. Le soutien de cette vie nous a été donné par cet Être suprême et incompréhensible, puisque nul de nous ne peut former la moindre des plantes, dont nous tirons la nourriture qu’il nous donne, et puisque même nul de nous ne sait comment ces végétaux se forment.

L’ingrat peut dire qu’il fallait absolument que Dieu nous fournît des aliments, s’il voulait que nous existassions un certain temps. Il dira : Nous sommes des machines qui se succèdent les unes aux autres, et dont la plupart tombent brisées et fracassées dès les premiers pas de leur carrière. Tous les éléments conspirent à nous détruire, et nous allons par les souffrances à la mort. Tout cela n’est que trop vrai ; mais aussi il faut convenir que s’il n’y avait qu’un seul homme qui eût reçu de la nature un corps sain et robuste, un sens droit, un cœur honnête, cet homme aurait de grandes grâces à rendre à son auteur. Or, certainement, il y a beaucoup d’hommes à qui la nature a fait ces dons : ceux-là du moins doivent regarder Dieu comme bienfaisant.