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SUR LES PANÉGYRIQUES.

Je remplis mon devoir, monsieur, en vous fournissant quelques couleurs que vos pinceaux mettront en œuvre ; et si c’est une indiscrétion, je commets une faute dont l’impératrice seule pourra me savoir mauvais gré, et dont l’Europe m’applaudira. Vous verrez que si Pierre le Grand fut le vrai fondateur de son empire, s’il fit des soldats et des matelots, si l’on peut dire qu’il créa des hommes, on pourra dire que Catherine II a formé leurs âmes.

Elle a introduit dans sa cour les beaux-arts et le goût, ces marques certaines de la splendeur d’un empire ; elle en assure la durée sur le fondement des lois. Elle est la seule de tous les monarques du monde qui ait rassemblé des députés de toutes les villes d’Europe et d’Asie pour former avec elle un corps de jurisprudence universelle et uniforme. Justinien ne confia qu’à quelques jurisconsultes le soin de rédiger un code ; elle confie ce grand intérêt de la nation à la nation même, jugeant avec autant d’équité que de grandeur qu’on ne doit donner aux hommes que les lois qu’ils approuvent, et prévoyant qu’ils chériront à jamais un établissement qui sera leur ouvrage.

C’est dans ce code qu’elle rappelle les hommes à la compassion, à l’humanité que la nature inspire et que la tyrannie étouffe ; c’est là qu’elle abolit ces supplices si cruels, si recherchés, si disproportionnés aux délits ; c’est là qu’elle rend les peines des coupables utiles à la société ; c’est là qu’elle interdit l’affreux usage de la question, invention odieuse à toutes les âmes honnêtes, contraire à la raison humaine et à la miséricorde recommandée par Dieu même ; barbarie inconnue aux Grecs, exercée par les Romains contre les seuls esclaves, en horreur aux braves Anglais, proscrite dans d’autres États, mitigée enfin quelquefois chez ces nations qui sont esclaves de leurs anciens préjugés, et qui reviennent toujours les dernières à la nature et à la vérité en tout genre.

Souveraine absolue, elle gémit sur l’esclavage, et elle l’abhorre. Ses lumières lui font aisément discerner combien ces lois de servitude, apportées autrefois du Nord dans une si grande partie de la terre, avilissent la nature humaine ; dans quelle misère une nation croupit quand l’agriculture n’est que le partage des esclaves ; à quel point les hommes ont été barbares, quand le gouvernement des Huns, des Goths, des Vandales, des Francs, des Bourguignons, a dégradé le genre humain.

Elle a senti que le grand nombre, qui ne travaille jamais pour lui-même, et qui se croit né pour servir le plus petit nombre,