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DE L’EXCÈS DES PERSÉCUTIONS CHRÉTIENNES.


mille dans les supplices. Les Occidentaux, entendant confusément parler de ces boucheries, s’accoutumèrent à nommer manichéens tous ceux qui combattaient quelques dogmes de l’Église papiste, et à les poursuivre avec la même barbarie. C’est ainsi qu’un Robert de France fit brûler à ses yeux le confesseur de sa femme et plusieurs prêtres.

Quand les Vaudois et les Albigeois parurent, on les appela manichéens, pour les rendre plus odieux.

Qui ne connaît les cruautés horribles exercées dans les provinces méridionales de France, contre ces malheureux dont le crime était de nier qu’on pût faire Dieu avec des paroles ?

Lorsque ensuite les disciples de notre Wiclef, de Jean Hus, et enfin ceux de Luther et de Zuingle, voulurent secouer le joug papal, on sait que l’Europe presque entière fut bientôt partagée en deux espèces, l’une de bourreaux, et l’autre de suppliciés. Les réformés firent ensuite ce qu’avaient fait les chrétiens des ive et ve siècles : après avoir été persécutés, ils devinrent persécuteurs à leur tour. Si on voulait compter les guerres civiles que les disputes sur le christianisme ont excitées, on verrait qu’il y en a plus de cent. Notre Grande-Bretagne a été saccagée : les massacres d’Irlande sont comparables à ceux de la Saint-Barthélemy, et je ne sais s’il y eut plus d’abominations commises, plus de sang répandu en France qu’en Irlande. La femme de Sir Henri Spotswood[1], sœur de ma bisaïeule, fut égorgée avec deux de ses filles. Ainsi, dans cet examen, j’ai toujours à venger le genre humain et moi-même.

  1. Milord Bolingbroke a bien raison de comparer les massacres d’Irlande à ceux de la Saint-Barthélemy en France ; je crois même que le nombre des assassinats irlandais surpassa celui des assassinats français.

    Il fut prouvé juridiquement par Henri Shampart, James Shaw, et autres, que les confesseurs des catholiques leur avaient dénoncé l’excommunication et la damnation éternelle s’ils ne tuaient pas tous les protestants, avec les femmes et les enfants qu’ils pourraient mettre à mort ; et que les mêmes confesseurs leur enjoignirent de ne pas épargner le bétail appartenant aux Anglais, afin de mieux ressembler au saint peuple juif, quand Dieu lui livra Jéricho.

    On trouva dans la poche du lord Macguire, lorsqu’il fut pris, une bulle du pape Urbain VIII, du 25 mai 1643, laquelle promettait aux Irlandais la rémission de tous les crimes, et les relevait de tous leurs vœux, excepté de celui de chasteté.

    Le chevalier Clarendon et le chevalier Temple disent que, depuis l’automne de 1641 jusqu’à l’été de 1643, il y eut cent cinquante mille protestants d’assassinés, et qu’on n’épargna ni les enfants ni les femmes. Un Irlandais nommé Brooke, zélé pour son pays, prétend qu’on n’en égorgea que quarante mille. Prenons un terme moyen, nous aurons quatre-vingt-quinze mille victimes en vingt et un mois. (Note de Voltaire, 1771.)