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DES CHRÉTIENS, DE DIOCLÉTIEN À CONSTANTIN.


passant de la simplicité d’une église pauvre et cachée à la magnificence d’une église opulente et pleine d’ostentation, ils étalaient des vases d’or et des ornements éblouissants ; quelques-uns de leurs temples s’élevaient sur les ruines d’anciens périptères païens abandonnés. Leur temple, à Nicomédie, dominait sur le palais impérial ; et, comme le remarque Eusèbe, tant de prospérité avait produit l’insolence, l’usure, la mollesse, et la dépravation des mœurs. On ne voyait, dit Eusèbe, qu’envie, médisance, discorde, et sédition.

Ce fut cet esprit de sédition qui lassa la patience du césar Galère-Maximien. Les chrétiens l’irritèrent précisément dans le temps que Dioclétien venait de publier des édits fulminants contre les manichéens. Un des édits de cet empereur commence ainsi : « Nous avons appris depuis peu que des manichéens, sortis de la Perse, notre ancienne ennemie, inondent notre monde. »

Ces manichéens n’avaient encore causé aucun trouble : ils étaient nombreux dans Alexandrie et dans l’Afrique ; mais ils ne disputaient que contre les chrétiens, et il n’y a jamais eu le moindre monument d’une querelle entre la religion des anciens Romains et la secte de Manès. Les différentes sectes des chrétiens, au contraire, gnostiques, marcionites, valentiniens, ébionites, galiléens, opposées les unes aux autres, et toutes ennemies de la religion dominante, répandaient la confusion dans l’empire.

N’est-il pas bien vraisemblable que les chrétiens eurent assez de crédit au palais pour obtenir un édit de l’empereur contre le manichéisme ? Cette secte, qui était un mélange de l’ancienne religion des mages et du christianisme, était très-dangereuse, surtout en Orient, pour l’Église naissante. L’idée de réunir ce que l’Orient avait de plus sacré avec la secte des chrétiens faisait déjà beaucoup d’impression.

La théologie obscure et sublime des mages, mêlée avec la théologie non moins obscure des chrétiens platoniciens, était bien propre à séduire des esprits romanesques qui se payaient de paroles. Enfin, puisqu’au bout d’un siècle le fameux pasteur d’Hippone, Augustin, fut manichéen, il est bien sûr que cette secte avait des charmes pour les imaginations allumées. Manès avait été crucifié en Perse, si l’on en croit Chondemir ; et les chrétiens, amoureux de leur crucifié, n’en voulaient pas un second.

Je sais que nous n’avons aucune preuve que les chrétiens obtinrent l’édit contre le manichéisme ; mais enfin il y en eut un sanglant ; et il n’y en avait point contre les chrétiens. Quelle fut